Extrait Sport & Vie

n o 192 65 RUSSIE Valieva comme je te pousse Les amoureux du patinage artistique étaient sans doute un peu perdus à l’occasion des derniers Jeux d’hiver de Pékin face à l’his- toire de cette jeune patineuse russe, Kamila Valieva (15 ans), qu’on annonçait tantôt dopée, tantôt blanchie. Résumons l’affaire. Tout commence à Saint-Pétersbourg à la fin du mois de décembre, pen- dant les championnats de Russie de patinage artistique. Valieva décroche le titre national du programme court. Mais elle est aussi testée positive à la trimétazidine. Un concours de circonstances fait qu’elle n’est pas prévenue de ce contrôle positif dans le délai légal de vingt jours, ce qui constitue un vice de forme. Finalement, on lui communique ce résultat à la mi-février alors qu’elle est en train de participer à ses premiers Jeux olympiques. Elle explique que son grand-père suit un traitement à la trimétazidine et plaide la thèse d’une contamination accidentelle. Ils auraient bu dans la même tasse. La molécule sert de principe actif pour un toni- fiant cardiaque produit par les laboratoires Servier sous le nom de Vastarel. Pour des raisons assez mystérieuses, le produit semble apprécié des sportifs. Ces dernières années, il a souvent été cité dans des affaires de dopage qui se soldèrent d’ailleurs par des peines qui varient du tout au tout (*). Compte tenu de son jeune âge et des conditions erratiques de la communication des résultats du test, Valieva ne sera finalement pas suspendue et le monde du patinage fut sans doute très soulagé que sa presta- tion ratée dans le concours individuel l’ait finalement écartée du podium. L’affaire en restera probablement là. Dommage car elle aurait pu mettre en lumière des aspects méconnus de la prépara- tion des athlètes russes. En plus de la trimétazidine, les urines de Valieva contenaient deux autres produits (non interdits) auxquels on prête des vertus ergogènes. Le premier est bien connu. Il s’agit de la L-carnitine qui agit comme substance tampon et favorise la synthèse de l’oxyde nitrique qui dilate les artères. Le second est beaucoup plus étonnant. Il est commercialisé seulement en Russie sous le nom d’hypoxène (ou polydihydroxyphénylènethio- sulfonate) et favoriserait l’oxygénation tissulaire lui aussi. Notons qu’une telle indication n’est pas reconnue en Europe de l’Ouest, sauf pour la trimétazidine de Servier! Au fil des découvertes, tout cela acquiert une certaine cohérence. En clair, les préparateurs russes des patineurs craignaient qu’une fatigue musculaire s’ins- talle pendant ces prestations qui durent tout de même plusieurs minutes. Ils ont donc recouru à un cocktail de «donneurs d’oxy- gène» , sans rien connaître de leur mode d’action et de leur effi- cacité réelle. Cela fait penser à une mode datant des années 80 et consistant à se masser les jambes avec un solvant à base de soufre (diméthylsulfoxyde ou DMSO). Cela donnait une haleine de bouc pour une efficacité très aléatoire. Mais il en fallait plus pour décourager les athlètes en quête de gloire dont un certain Alberto Salazar. MK (*) Pour l’usage de ce produit, le nageur chinois Sun Yang avait pris trois mois en 2014. Devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), la bobeuse russe Nadezhda Sergeeva s’en sortira finalement indemne après avoir plaidé la contamination accidentelle, tandis qu’en 2020, le lutteur français Zelimkhan Khadjiev a pris le tarif plein: quatre ans de suspension. DOPAGE La foire aux alibis Dans le jargon de la lutte antidopage, les «substances spécifiées» permettent aux sportifs pris pour dopage de bénéficier tout de même de la clémence des juges s’ils peuvent prouver les cir- constances accidentelles de la prise du produit incriminé et l’ab- sence d’une intentionnalité de tricherie. La peine prévue de deux ou quatre ans de suspension pourra alors être réduite ou même se transformer en une simple réprimande. Tout cela part d’une excellente intention: ne pas punir des innocents. Attention tout de même à ne pas édulcorer une lutte antidopage qui éprouve déjà tel- lement de difficultés à fonctionner en l’état. Lorsqu’on a introduit cette nuance en 2009, les substances spécifiées ne couvraient que quelques catégories de produits. Principalement les diurétiques, certains stimulants et les glucocorticoïdes. Pincé pour l’un de ces produits, on pouvait plaider son usage fortuit, ce qui impliquait de faire preuve d’imagination comme pour cette histoire de médicaments malen- contreusement tombés dans la cas- serole de pâtes ou encore toutes ces situations où l’athlète aurait confondu son traitement avec celui de sa femme (André Onana) ou de son grand-père (Kamila Valieva). La nouvelle est passée très inaperçue mais la liste des substances spécifiées s’est allongée en 2021 pour englober désormais d’autres produits et d’autres méthodes frauduleuses, comme les injections intravei- neuses. Plus formidable encore, cette mansuétude concerne aussi la classe des médicaments dits «en développement». En 2022, ce fut au tour des broncho-dilatateurs de rejoindre la liste de subs- tances spécifiées au même titre que, dans la classe des hormones et modulateurs métaboliques, les inhibiteurs de l’aromatase, les SERMs, ainsi que les modulateurs spécifiques des récepteurs aux estrogènes. Bref, elles y sont pratique- ment toutes, en dehors de l’EPO et des stéroïdes. Résumons-nous. D’un côté, on prône le durcissement des peines à l’image de ce qu’on fit en 2015 avec le passage de deux à quatre ans de sus- pension pour un premier dopage lourd. De l’autre, on offre aux sportifs tous les moyens pour échapper aux sanctions. Ils y arrivent très bien. Du moins, ceux qui peuvent faire intervenir les meil- leurs avocats. Il n’est pas sûr que la morale y trouve son compte. MK Une chute providentielle André Onana et Melanie, un transfert de finastéride

RkJQdWJsaXNoZXIy MTEzNjkz