Extrait Sport & Vie

n o 187 15 spécieux, et la détention d’Aung San Suu Kyi prolongée à moins, proposa la junte, qu’elle quitte le pays et se fasse oublier. Malgré l’isolement et l’éloignement de sa famille (elle a deux enfants), «The Lady» (son surnom) refuse, ce qui lui vaut de recevoir le prix Nobel de la Paix et de rester embastillée jusqu’en 2010, soit 22 ans au bout desquels la Tatmadaw libère la rebelle à la surprise générale. Plus étonnant encore, la junte se retire dans la foulée au profit d’un gouverne- ment civil. Le pacifisme triomphateur de la violence brute, le dénouement est beau, trop beau pour être vrai. En fait, l’armée birmane, sûre de son emprise sur les âmes et les corps, mar- chanda ce retour à une démocratie de façade contre une série de conces- sions qui lui assuraient de garder la mainmise sur tout le pays. ses gradés, «la sécurité du pays était menacée» . On a vu quelle était à leurs yeux la teneur réelle de la menace. En revanche, le costume d’héroïne risque d’être un peu trop lourd à por- ter pour Aung San Suu Kyi. Fille d’une ambassadrice et d’un négociateur de l’indépendance birmane, cette dame de 76 ans est pourtant perçue dans le monde entier comme l’incarnation de la résistance du peuple birman face à la Tatmadaw . Malgré son pedigree, son éducation brillante et son mariage avec un Britannique, autant d’élé- ments qui auraient pu l’inciter à aban- donner ses concitoyens à leur infor- tune, elle n’a en effet cessé de lutter pour leur liberté. En 1988, elle quitta même le Royaume-Uni où elle vivait en exil pour monter sur la scène poli- tique birmane. Aussitôt emprisonnée, elle remporta néanmoins deux ans plus tard les élections législatives au nom du NLD, un parti créé autour de sa personne. Cette victoire embar- rassa tant la Tatmadaw que ces élec- tions furent annulées pour un motif En taule pour un talkie L’événement remonte au 1 er février 2021: dix ans après avoir laissé les rênes du pouvoir qu’elle détenait sans partage depuis un demi-siècle, la junte militaire birmane (dite aussi Tatmadaw ) les reprenait sans sommation. Ce «contrecoup d’Etat» fut justifié par des motifs grotesques: le président de la République Win Myint aurait, pendant la campagne des élections législatives l’année précédente, violé les règles sanitaires en vigueur tandis que sa conseillère spéciale (sorte de Premier ministre), la célèbre Aung San Suu Kyi, fut déclarée coupable d’avoir détenu des… appareils de télécommunication, dont un talkie-walkie. En réalité, l’ar- mée n’avait pas supporté de voir son parti fantoche, l’Union pour la solida- rité et le développement (USDP), être humilié en novembre 2020 par la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) de Win Myint et d’Aung San Suu Kyi à l’is- sue du scrutin pour le renouvellement du Parlement birman: 596 sièges pour la NLD, 33 pour l’USDP. Une plaie de trop dans l’orgueil de la Tatmadaw qui, bien que s’étant assurée lors de son retrait (relatif) du pouvoir de conser- ver un quart des sièges dans toutes les assemblées du pays, craignait que cette rouste l’empêche de prélever une rente sur toutes les activités du pays – mines, tourisme et manufac- tures principalement –, et de se voir reprocher les crimes de masse qu’elle n’a jamais cessé de perpétrer. « The Lady » contre l’armée Pour qui contemplerait l’histoire du Myanmar d’aussi loin que le sport olympique, la situation politique y est limpide. Dans ce pays de 54 millions d’habitants, frontalier de la Chine, du Bangladesh et du Cambodge, à l’his- toire millénaire malgré un court épi- sode colonial (*), la Tatmadaw joue le rôle du méchant et Aung San Suu Kyi, avec derrière elle le peuple uni, celui de l’héroïne sans reproche. Pas si simple. Enfin, si: l’armée est parfaite dans son rôle de méchant. Non contente d’avoir mis le pays sous coupe réglée pendant cinquante ans en cadenassant la popu- lation à coups de canon si besoin, elle a inventé des mensonges gros comme elle afin de déclarer (illégalement) l’état d’urgence pour un an car, selon (*) Les historiens décèlent l’existence d’un royaume birman dès le IX e siècle après J.C. Dans ce panora- ma, l’occupation du pays par le Royaume-Uni entre 1886 et 1948 (soit 62 ans) fait office de simple in- termède. Aung San Suu Kyi dans le viseur de la Tatmadaw Le long calvaire des Rohingyas

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