Extrait Sport & Vie

n o 186 19 les Maasaï partent à la chasse loin de leur village, ils sont exposés au danger et adoptent donc pour dormir une posi- tion debout tout à fait caractéristique, se tenant sur un seul pied sans doute pour réduire la surface d’échange calo- rique. Quant à leur autre jambe, elle est repliée au niveau du genou de la première. Ils changent régulièrement de jambes d’appui et utilisent aussi un long bâton pour s’équilibrer, voire pour se défendre en cas d’attaque. Cette tra- dition vieille de plusieurs siècles ne leur paraît pas extravagante. Des études ont montré que leur articulation du genou s’est même adaptée à cette posture uni- jambiste, puisqu’elle présente un relief osseux plus prononcé sur les bords du plateau tibial de façon à verrouiller l’articulation à la manière des chevaux qui dorment debout, eux aussi (1). Bien sûr, n’im- porte qui d’autre qu’un Maasa± échouera à s’en- dormir dans cette posi- tion. Preuve s’il en est de l’existence de spécificités morphologiques liées au mode de vie et bien sûr, celles-ci vont au-delà de la question du sommeil des Maasa±. Elles impactent toute notre motricité. Les cases de l’oncle Sheldon Dans cette partie de la science appe- lée anthropologie physique (également appelée anthropobiologie ou anthro- pologie biologique), on s’intéresse aux groupes humains du point de vue mor- phologique en essayant de corréler chaque spécificité à son passé évolutif. Cela commence dans les années 40 avec la description sommaire de trois groupes d’individus à partir de leur composition corporelle. On doit cette classification au psychologue améri- cain William Sheldon (Université de Harvard) qui s’était servi pour l’édifier de données glanées dans les recherches en embryologie sur la différenciation des tissus (2). Sheldon s’était donné pour objectif de coller des caractéris- tiques psychologiques aux différentes morphologies de façon à pouvoir ran- ger l’humanité toute entière dans des cases. Il faut dire que le bonhomme était un maniaque du rangement. On lui doit aussi l’échelle de Sheldon, une méthode de classement des anciennes pièces de sortis de l’eau. On s’est entre-temps équipés d’un tas d’attributs adaptés à la vie terrestre. Cependant, il nous reste des vestiges de ce lointain passé. Darwin écrit: «L’Homme porte encore, dans la structure de son corps, le sceau indélébile de son humble origine». Nous nous sommes donc constitués au fil des années pour répondre aux pressions de l’environnement sans nous défaire tout à fait de nos traits précédents. Et cela continue! Le corps est un perpé- tuel chantier. Chaque os, chaque mus- cle, chaque viscère visent sans cesse le renforcement de leurs fonctionnalités et cela explique l’émergence de diffé- rences entre des populations beaucoup moins éloignées dans le temps que nous et les ichtyostégas. Un exemple? Dans l’est de l’Afrique, les Maasa± ont appris à vivre dans des régions peuplées de grands prédateurs, ce qui implique d’être toujours sur le qui-vive. Lorsque rugbymen et des lignées de coureurs cyclistes. Et cela marche de la même façon pour le foot, le ski de fond, le judo, l’aviron ou le tennis de table. Est-ce seu- lement l’influence du milieu? Non! Les familles jouent un grand rôle, c’est sûr. La topographie aussi. On fera plus facile- ment du ski si on vit à la montagne et de la voile lorsqu’on habite en bord de mer. C’est logique! Cela dit, les gabarits sont aussi héréditaires que la couleur des yeux ou la tessiture de la voix. Chaque corps incarne ainsi une longue histoire familiale et recèle des qualités et des défauts qui en feront un bon ou un mau- vais outil en regard du sport que l’on a choisi de pratiquer. Ils ne dorment que d’un pied Dans le dernier hors-série de Sport et Vie consacré à trente célébrités qui, à leur manière, ont participé à l’édifica- tion de la grande histoire du sport, on trouve un portait consacré au botaniste anglais Charles Darwin. Choix justi- fié s’il en est. Peu de savants peuvent se vanter d’avoir eu un tel impact sur leurs contemporains. La parution en 1859 de son livre L’Origine des espèces a radicalement changé la représentation que l’Homme se faisait de lui-même et de sa place dans l’univers. Tout à coup, on apprenait que notre espèce n’était pas immutable comme on le pensait jusqu’alors, mais le fruit d’une lente évo- lution qui s’écoule sur les 400 derniers millions d’années, depuis l’apparition sur Terre des tout premiers vertébrés amphibiens. Cette évolution nous a transformés. Aujourd’hui, nous ne res- semblons plus beaucoup aux premiers ichtyostégas, ces drôles de poissons à pattes auxquels revient le mérite d’être Tous les bébés se ressemblent. Bonne nuit! William Sheldon (1898-1977)

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