Extrait Sport & Vie

n o 186 33 une mémoire!». Mais où se niche-t-elle? Cette question-là est longtemps res- tée sans réponse jusqu’à ce que soient publiés des travaux passionnants menés à l’Université John Mooresbde Liverpool et à l’Université d’Oslo par le profes- seur Adam Philip Sharples qui présente la particularité d’être l’un des meilleurs spécialistes mondiaux en épigénétique et un ancien joueur professionnel de rugby du championnat anglais. Pour démontrer l’existence d’une mémoire du muscle, Sharples s’est d’abord intéressé aux situations de déclin musculaire. Sur des petits mammifères, il a observé par exemple que le nombre de fibres compo- sant le muscle adulte ainsi que la com- position de ces fibres pouvaient être altérés par une disponibilité réduite en nutriments pendant la gestation. En d’autres termes, des mères mal nour- ries pendant leur grossesse faisaient des petits musculairement plus fragiles. Ce n’est pas très surprenant. En même temps, cela prouve que les muscles subissent l’influence de leur environne- ment sans qu’il y ait réécriture de leur code génétique. Est-ce que cela se passe de la même manière chez les humains? Tout le laisse penser! Les études épidé- miologiques montrent en effet qu’un épisode de malnutrition pendant la ges- tation donne des bébés de faible poids à la naissance et cela se traduit en outre par une plus grande fragilité musculaire pendant la croissance. le nombre de ces noyaux. Nous relions alors ce curieux phénomène de mémoire tissulaire à l’enrichissement de cette réserve de noyaux, qui permettait d’activer un plus grand nombre de gènes pour fabriquer davantage de protéines. Plusieurs indices corroboraient cette théorie qui, depuis, a pris un peu de plomb dans l’aile. Les choses changent vite en science et il se trouve que les dernières publications n’accréditent plus exclusivement la piste nucléaire. Dans certaines situations, le sport n’en- traîne pas la multiplication des noyaux comme celle des pains du Christ dans le Nouveau Testament . Ou parfois, ils se multiplient bel et bien mais le sur- plus disparaît au fur et à mesure que le temps passe (1). Multiplication ou extinction? La question fait débat au sein de la communauté scientifique. Mais il apparaît assez peu probable que l’accrétion nucléaire puisse à elle seule expliquer l’existence d’une mémoire du muscle. Il fallait trouver autre chose. L’expérience des bébés fragiles Dans l’histoire des sciences, on connaît l’obstination de Galilée (1564-1642), caractérisée par sa célèbre expression «et pourtant, elle tourne!» , que le savant toscan prononça à la fin du procès que lui valut sa thèse «hérétique» de l’hé- liocentrisme, selon laquelle la Terre tournait autour du Soleil plutôt que l’in- verse. A propos de ces recherches épigé- nétiques en physiologie de l’effort, plu- sieurs spécialistes auraient envie de le paraphraser: «et pourtant, les muscles ont A chaque fois qu’on se lance dans la rédaction d’un nou- veau dossier, on espère cap- tiver le plus grand nombre de lecteurs et faire en sorte que chacun y trouve matière à alimenter ses réflexions. C’est encore le cas ici. Avec une pensée particulière pour les anciens sportifs qui ont arrêté le sport et qui, de ce fait, n’ont plus pro- duit d’effort digne de ce nom depuis des mois et parfois des années. Ou tout sim- plement pour ceux qui reviennent d’une période de farniente ou ont été confinés trop longtemps sans avoir accès à leur salle préférée. Si on se fie aux résultats de différents tests d’effort, tous les nouveaux inactifs redescendent à des niveaux de forme très faibles, parfois même au niveau des autres sédentaires. Cela dit, ils conservent sur ces séden- taires un immense avantage: celui de progresser beaucoup plus vite si d’aven- ture ils se remettent au sport. Tout se passe comme si le muscle de l’ex-sportif était doté d’une forme de mémoire rudi- mentaire qui lui permettrait d’activer les bons processus d’adaptation pour éle- ver son niveau beaucoup plus vite que le néophyte. Cette mémoire du muscle est une des choses les plus étonnantes qu’on ait découvertes ces dernières années. Dans un numéro précédent, nous avions proposé un autre article sur cette question, dans lequel on évoquait la piste de l’accrétion nucléaire (*). La fibre musculaire est une cellule un peu spéciale qui possède plusieurs noyaux et à l’époque, nous avions suggéré qu’un entraînement assidu pouvait augmenter (*) «Le mystère des noyaux perdus» , dans Sport et Vie n°180, mai 2020. Les mères affamées font des enfants fragiles. Blessée aux abdominaux, victime du covid puis opérée du genou, Kim Clijsters ne cesse de repousser son retour.

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