Extrait Sport & Vie

n o 177 25 Balafre au bord de l’eau Parmi les rares données collectées sur la dangerosité du surf, on trouve ce travail de 2002 qui révélait que les traumatismes crâ- niens comptaient déjà pour 37% des blessures. Le taux est sans doute plus élevé aujourd’hui compte tenu de l’encombrement des spots et de l’irresponsabilité des surfeurs qui ne se laissent pas tou- jours le temps de guérir après une grosse gamelle. Pire encore! La notion de danger s’estompe au fil des traumatismes. On voit ainsi des surfeurs sous le choc de précédentes commotions prendre des risques inconsidérés et s’exposer à des nouvelles chutes qui auront pour conséquence d’accélérer leur déclin (1). Pour réduire le risque, on pourrait conseiller le port du casque. Mais celui-ci est rejeté par la quasi-unanimité des surfeurs. A peine 1,9% d’entre eux acceptent de le porter. La raison? Il serait contraire à l’esprit du surf. Keala Kennelly connaît bien le problème. En 2011, cette sur- feuse professionnelle hawaïenne s’est grièvement blessée au visage lors d’une session de démonstra- tion à Teahupoo (près de Tahiti). Tout est allé très vite: Keala Kennelly était dans un tube quand elle fut brusquement projetée face la première contre le récif corallien. Elle subit un grave traumatisme à l’hémiface droite, juste à côté de son œil, et une plaie du cuir chevelu. Pourtant, déjà à l’époque, elle ne sortait jamais sans son casque et sa veste de protection flottante lorsque les conditions étaient difficiles. En revanche, elle restait en bikini chaque fois que la taille des vagues le permettait. «Je me sentirais idiote si je me pointais sur la plage habillée comme un motard» explique-t-elle, tout en recon- naissant la fragilité de son raisonnement. Le jour de son accident, le temps était clément. D’ailleurs c’est souvent le cas quand survient un accident. En effet, si les conditions sont bonnes, on est moins concentré sur le risque d’accident et on commet plus d’erreurs. Alerte à Malibu Le nom de Shawn Dollar est réputé dans la communauté des sur- feurs. En 2015, il a battu le record de la plus haute vague jamais surfée: 61 pieds (soit très précisément 18,5928 mètres). On le connaît aussi pour avoir survécu à un accident terrible où il s’était fracassé le crâne sur un rocher de la taille d’une voiture. Diagnostic: quadruple fracture des vertèbres cervicales. De nombreuses séquelles neurologiques laissent penser que le cerveau fut aussi touché. «Je remarquais bien que j’étais devenu plus lent, j’avais du brouillard en permanence dans la tête. A la télévision, on par- lait alors de cette affection neurologique dont souffrent les joueurs de foot américain, l’encéphalopathie traumatique chronique (ETC) Pour moi, c’était difficile d’accepter de me retrouver dans cette situation, surtout en ma qualité de surfeur.» Shawn Dollar se réso- lut tout de même à consulter le docteur Daniel Amen en Californie, spécialiste des atteintes neurologiques et qui s’était déjà occupé de Mercedes Maidana. «Quand on surfe une vague de dix mètres, il faut posséder une coordination incroyable» explique ce méde- cin qui dirige une clinique à son nom en Californie. «On doit être capable de prendre une décision en l’espace d’une fraction de seconde. Si le cerveau fonctionne un peu moins vite, on s’expose à de nouvelles gamelles et peut-être à des nouvelles commotions.» D’après son expérience, les lésions du lobe frontal sont les plus susceptibles d’altérer le jugement. Les risques sont réels mais la situation ne semble pas inquiéter grand-monde dans ce milieu. Pas de prévention, pas de protection, peu d’études sur le sujet. Voilà qui rappelle toutes ces disciplines (football, rugby, foot américain) qui se sont voilé la face pendant des décennies avant de prendre timidement le problème des ETC au sérieux (2). Le surf n’en est même pas là. Il serait temps, pourtant, afin d’éviter «que l’eau salée des océans n’ait aussi le goût des larmes» ! L’expression est du docteur Guillaume Barucq, l’un des rares spécialistes à prendre la santé des surfeurs vraiment au sérieux (*). Alain Philippe Coltier (*) Guillaume Barucq tient un site sur le surf ( blog.surf-prevention.com ) et a aussi écrit plusieurs ouvrages sur ce sport ( Surf Thérapie , Détoxseafication , Surfer’s Survival Guide , éd. Surf Prévention). Tous riches d’infos! Références: (1) Silence on ‘The Break’: Exploring Concussion in Canadian West Coast Surf Culture , thèse de doctorat en Sciences du mouvement soutenue en novembre 2018 par Nikolaus Alexander Dean, Université de Colombie- Britannique, Vancouver (2) «Concussions in Surfers» , par Margaret Donlon, publié le 30 octobre 2013 sur le site du Journal of the Surfers Medical Association ( journal.surfersme- dicalassociation.org ) Du sang, du surf et des larmes Keala Kennelly, surnommée « Scarface » Shawn Dollar, jamais sans mon casque

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