Extrait Sport & Vie

n o 176 35 souciait de lui (*). Quelle misère! De ce fait, certains établissements péniten- tiaires de l’archipel ressemblent de plus en plus à des homes pour personnes âgées. Environ 20% des détenus japo- nais ont dépassé 60 ans. Un sur cinq. C’est énorme! Alors que cette même proportion atteint péniblement un sur vingt dans les pays européens ou en Amérique. Et encore! Là-bas, les «old timers» embastillés purgent en réalité des peines très longues consécutives à des crimes commis dans leur jeunesse. Au Japon, la plupart des vieux prison- niers sont des primo-délinquants, ce qui signifie qu’ils s’étaient comportés jusqu’alors en bons citoyens, respec- tueux des lois. Comment en est-on arrivé là? Les survivants du karoshi Pour comprendre l’émergence de cette délinquance tardive, il nous faut reve- nir quelques décennies en arrière, à la fin de la Deuxième guerre mondiale, au moment de la capitulation de l’armée japonaise face à l’armée américaine. Le désormais ex-empire estmeurtri comme jamais dans son histoire millénaire. Il rêve de revanche. Mais le traité d’ar- mistice négocié avec les vainqueurs lui interdit de reconstituer une armée (**). Tant pis! Le Japon reporte ses ambitions sur son économie, déjà costaude avant le conflit. Il suffit de transformer le com- plexe militaro-industriel au service de l’empire en une machine à produire des biens d’équipement à haute valeur ajou- tée. Ce projet va devenir une véritable religion nationale. Les Américains ne trouvent rien à redire. Au contraire, ils encouragent cette transformation avec l’équivalent d’un plan Marshall nippon, appelé «plan Dodge» . Deux conditions toutefois devront être respectées. Interdiction bien entendu de ressusci- ter le complexe militaro-industriel et surtout, application fidèle des règles de l’économie de marché. Pas question que le Japon imite le collectivisme de sa logé et que son existence compterait pour quelqu’un, quand bien même il s’agirait d’un maton. Alors qu’en liberté, personne, absolument personne ne se flagrant délit de larcin. Une bouteille de saké dissimulée sous le manteau peut vous mener directement en prison, ce qui ne décourage pas les contrevenants. Au contraire, il se pourrait même que la sévérité des peines rende le vol à l’éta- lage encore plus séduisant. On se sent enfin pris en considération. On pense à ce vieux monsieur qui se baladait dans les rues un couteau à la main en mena- çant les jeunes filles dans le but, selon son propre aveu, d’être expédié en prison où il savait qu’il serait nourri, Le Japon compte beaucoup sur l’organisation de grands événements sportifs, comme la Coupe du monde de rugby cette année ou les Jeux olympiques l’an prochain, pour relancer une économie atone. Mais ce n’est pas la seule raison. Il y en a une autre, beaucoup plus inattendue. (*) On pourra en savoir plus notamment en écou- tant, sur bbc.co.uk , « Japan’s Elderly Crime Wave », reportage diffusé le 3 février 2019 dans l’émission Assignment de la BBC World Service. (**) L’actuel Premier ministre japonais, le sémil- lant Abe Shinzo, à tu à toi avec Donald Trump, insiste depuis des années auprès de la Diète (le Parlement japonais) afin qu’elle amende la constitution et autorise le Japon à se doter d’une armée susceptible d’intervenir en dehors de son territoire. Cela équivaudrait de fait à revenir sur l’armistice de 1945. Au Japon, les prisons ressemblent de plus en plus à des maisons de repos

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