Extrait Sport & Vie

n o 172 5 prête à lui mettre mon poing dans la figure. Les filles s’y sont mises à plusieurs pour me raisonner. Mais je ne supporte pas que quelqu’un que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam se permette de me juger et encore moins de m’insulter. Avez-vous rencontré des difficultés pour traiter ce sujet? Nicolas Vilas : Oui! Très vite, je me suis heurté aux réticences de ceux à qui je posais des questions alors que, par com- paraison, ils s’étaient exprimés beau- coup plus librement sur leurs croyances religieuses. Je sentais bien le malaise. Puis il y a autre chose. Nous vivons dans une société hyper-connectée où la moindre prise de position sera relayée à une échelle gigantesque par les réseaux sociaux. Quiconque jouit d’un petit peu de notoriété a donc peur de s’engager dans une polémique qui le dépasserait vite. De ce fait, on préfère se taire ou dire des banalités. Paradoxalement, on remarque aujourd’hui que les extraor- dinaires moyens de diffusion ont nui au recueil de l’information. Les bouches se ferment en même temps que les écrans s’allument. Le buzz a rendu tout le monde extrêmement méfiant. Marinette Pichon: C’était difficile pour moi parce que j’étais amenée à parler d’homophobie dans le sport, en l’occurrence le football, alors que ce sport m’a tout donné. Petite, j’étais un vrai garçon manqué. Je faisais tout comme eux et les activités dites «de fille» m’ennuyaient prodigieusement. En grandissant, cela a fini par entraîner toutes sortes de problèmes. D’autres se reconnaîtront peut-être dans cette histoire, malheureusement banale. Les parents réagissent souvent très mal à la révélation de l’homosexualité de leur enfant. Certains se font même mettre hors de la maison. Comment peut-on renier ainsi la chair de sa chair? Je Pourquoi avez-vous écrit ce livre? Nicolas Vilas : Il y a quatre ans, j’avais consacré un livre à la religion dans le football. Cela peut paraître bizarre. Mais les thématiques sont proches. Certes, on parle de «sentiment» religieux alors que le racisme est plutôt de l’ordre du «ressentiment». Mais on reste dans cette sphère intime de croyances et parfois de blocages qui puisent profondément dans notre histoire personnelle. Après la religion, c’est donc tout naturellement que j’en suis venu à parler de racisme. Marinette Pichon : Lorsque j’ai accepté d’écrire ce livre avec la complicité du journaliste Fabien Lévêque, il était clair que je devais le faire avec toute la sincé- rité et l’authenticité dont j’étais capable. Je n’ai donc pas hésité à parler de mon homosexualité et des situations par- fois difficiles qu’elle m’a fait traverser. Surtout dans la relation avec mon père. Dans ce livre, j’évoque les brimades et les humiliations (1). Mais aussi les moments lumineux et ma rencontre avec Ingrid (2). Si d’aventure des témoi- gnages comme le mien permettent de donner du courage à quelques per- sonnes, j’en serais ravie. Avez-vous été victime vous-même des discriminations que vous dénoncez dans vos livres? Nicolas Vilas : Je suis d’origine portu- gaise. Mon histoire familiale a peut-être joué un rôle dans ma démarche, c’est possible. J’ai des proches qui ont été la cible de discriminations et d’autres auxquels il arrive de proférer des pro- pos racistes. Parfois ce sont les mêmes! Dans ce livre, j’ai donc collecté des témoignages que je propose bruts de décoffrage. J’interviens peu. Je me suis dit qu’il serait plus percutant de lais- ser le lecteur découvrir les univers des intervenants pour s’interroger ensuite sur ses propres préjugés et sur la néces- sité ou non de les déconstruire. Marinette Pichon : Personnellement, je n’ai connu qu’une seule expérience de franche homophobie sur un terrain. Lors d’un match contre Lyon, je tente un débordement sur l’aile et le ballon sort en touche. Un spectateur m’interpelle: « tu ferais mieux d’arrêter le foot, sale homo!». J’étais hors de moi. Au coup de sifflet final, j’ai couru vers lamain courante pour m’expliquer avec cette personne. J’étais (1) Le père de Marinette Pichon est décédé le 14 janvier 2018. Dans son livre, elle le décrit comme un homme violent et porté sur la boisson. En 2000, il avait été condamné à dix ans de prison pour une agression sexuelle sur la grand-mère de Marinette. (2) Ingrid Moatti, 42 ans, a récemment démissionné de son poste d’agent du Conseil général de l’Essonne et vient d’être diplômée en tant que coach profes- sionnel en suivi individuel, en entreprise et milieu scolaire. Elle a deux enfants (6 et 26 ans). Elle est elle- même sportive de haut niveau. Spécialiste du basket en fauteuil, elle faisait partie de l’équipe de France victorieuse de la Paralympic World Cup de 2005. Marinette Pichon, inspirée par Thierry Henry Le racisme existe aussi dans le cyclisme. En 2017, le coureur italien Gianni Moscon était écarté de l’équipe Sky pendant six mois pour avoir proféré des injures racistes à l’encontre du Français Kevin Réza, le temps de suivre des cours « d’éducation à la diversité ».

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