Extrait Sport & Vie

n o 166 57 «A deux jours d’une épreuve de champion- nat du monde, j’avais réalisé une séance moyenne. Je fus alors convoquée dans le bureau de ma coach» , raconte l’ancienne gymnaste . «Elle se mit à me hurler si fort que je restai pétrifiée sur ma chaise, seu- lement capable de m’arracher la peau des doigts. Elle m’a dit à quel point j’étais la honte de mon pays, de ma famille, et même d’elle qui tout au long de sa vie d’entraîneur n’avait jamais été insultée de la sorte. Elle m’a tout simplement menacée de m’exclure de l’équipe et de me renvoyer par le premier avion si mes enchaînements ne s’amélio- raient pas. A la fin de l’entretien, mes mains étaient en sang. Je n’avais envie que d’une chose: sauter par la fenêtre» (2). Deux jours plus tard, elle tombait entre les mains du Docteur Nassar. Y a quelqu’un? Des témoignages comme celui-là, on en compte des dizaines dans ce dossier et, jusqu’il y a peu, personne ou presque ne leur portait attention. «J’ai passé plu- sieurs années au sein de la fédération à tenter de protéger les enfants victimes des mêmes abus psychologiques que j’avais endurés durant ma carrière» , reprend Jessica Howard qui regrette évidem- ment de n’avoir trouvé à l’époque aucun qui fut la première à s’exprimer, mais aussi McKayla Maroney, médaillée d’or à Londres en 2012 au concours par équipes et d’argent au saut de cheval, ou encore Aly Raisman, revenue de Rio avec trois médailles autour du cou dont l’argent du concours général. Toutes furent victimes du praticien et de son obsession des touchers anaux et pel- viens. D’un point de vue thérapeutique, des actes aussi intimes peuvent trouver une justification, notamment en cas de douleurs inexpliquées du petit bassin. Mais le Conseil national de l’Ordre des médecins ne manque jamais de le rap- peler: ces interventions peuvent aussi être assimilées à un viol et exigent de ce fait le consentement du patient. Or, on parle ici d’enfants très jeunes, par- fois même impubères. Mattie Larson, par exemple, n’avait que six ans quand elle a rencontré pour la première fois le docteur Nassar. Quelle autorité aurait- elle pu revendiquer pour s’opposer à l’avis d’une sommité dans son domaine? Les filles plus âgées n’étaient pas mieux loties. «Je l’ai rencontré pour des pro- blèmes récurrents au dos et au poignet» , expliquait Rachael Denhollander. «Il m’a dit que le traitement passait par une mani- pulation vaginale et rectale et que je senti- rais un petit crac, signe qu’il serait parvenu à remettre en place l’articulation à l’origine de tous mes soucis.» (1) Elle l’a cru. D’ail- leurs elles le croyaient toutes. Et ce d’autant plus facilement qu’en dehors de ses consultations, Nassar savait faire preuve d’empathie, se montrant à l’écoute des jeunes gymnastes qui tra- versaient parfois des périodes difficiles. Sa gentillesse tranchait avec les habi- tudes de ce milieu où les enfants font régulièrement face à des agressions verbales et parfois même des humilia- tions qui seraient jugées beaucoup plus sévèrement dans n’importe quel autre domaine d’activité. L’une des plaignantes, Jessica Howard, n’a rien oublié de sa première visite médicale chez Nassar et du savon que lui avait passé son entraîneur juste auparavant. Elle lui reprochait de ne pas s’investir assez dans son sport. L es nombreuses accusations d’agression sexuelle portées à l’encontre d’HarveyWeinstein n’ont pas seulement coulé le puissant producteur améri- cain. Elles ont aussi encouragé la prise de parole par de nombreuses femmes harcelées et/ou violées dans le passé et qui s’expriment désormais après s’être longtemps murées dans le silence. Rien qu’en France, les plaintes pour agression sexuelle ont augmenté de 30% en un an! Tous les domaines de la société sont concernés: la poli- tique, les médias, le show-business. Le sport aussi bien sûr! Avec cette singu- larité qu’ici, ce sont surtout des enfants pour qui la parole semble s’être sou- dain libérée ou, plus exactement, de jeunes adultes racontent aujourd’hui les souffrances infligées autrefois par des entraîneurs, des médecins ou des dirigeants indélicats. Les filles du docteur Nassar En décembre dernier s’est ouvert aux Etats-Unis le retentissant procès du docteur Larry Nassar. L’ancien méde- cin-chef de la fédération américaine de gymnastique doit répondre de 33 chefs d’inculpation pour agression sexuelle sur mineures. Pas moins d’une centaine de femmes ont porté plainte, parmi les- quelles quelques gymnastes de renom- mée mondiale comme Jessica Howard Jessica Howard, du tapis à la barre Larry Nassar, docteur Jekyll et Mister Hyde

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