Extrait Sport & Vie

n o 165 43 l’aspect d’une vipère. Les yeux, les écailles et la tête triangulaire du serpent sont si précisément repro- duits que là encore l’agresseur est bluffé et fait machine arrière par crainte d’une morsure. S’il tarde un peu, la chenille est capable de feindre un mouvement d’attaque et même de lui mettre un coup de dents, assumant ainsi son rôle de serpent venimeux jusqu’au bout alors qu’elle ne possède pas plus de poison dans les glandes qu’un vulgaire lombric (1). Les espèces végétales ne sont pas en reste lorsqu’il s’agit d’inventer des stratagèmes. L’or- chidée Ophrys apifera trompe ses pol- linisateurs d’une incroyable manière. Grâce à son labelle (son troisième pétale) qui ressemble à une abeille femelle et grâce à la production d’une odeur similaire à celle de l’insecte, elle parvient à attirer les mâles aveuglés par la ressemblance au point de s’ac- coupler avec la fleur plutôt qu’avec une congénère. A défaut de donner naissance plus tard à des milliers de petites abeilles, cette pseudo-copula- tion permet la fertilisation de la plante par transfert de pollen. L’orchidée par- autre formulation plus révélatrice des forces en présence: «la loi du plus apte». Or il se trouve que les facultés d’adaptation impliquent plus souvent la ruse que la force pure. Même chez des êtres a priori peu susceptibles d’ingéniosité. Un exemple? Le papillon «vice-roi» ( Limenitis archippus ) est capable d’imiter presque à la perfec- tion l’aspect et la coloration aposé- matique (*) d’un autre papillon appelé «monarque» ( Danaus plexippus) . En revêtant les mêmes atours, le vice- roi fait croire à ses prédateurs qu’il est imprégné des mêmes métabo- lites toxiques. Ce qui est faux! Le vice-roi est parfaitement comestible. Seulement, les oiseaux sont grugés. Connaissant la toxicité du monarque, ils ne se risquent pas à boulotter un vice-roi. Le subterfuge est génial! Tout comme celui de la larve du papillon Hemeroplanes ornatus . Lorsqu’elle se sent menacée, cette chenille gonfle sa tête et son thorax pour prendre L e monde vivant est fasci- nant. A qui veut bien prendre le temps de le découvrir, il dévoile des facettes toutes plus surprenantes les unes que les autres, avec des stra- tégies de survie qui dépassent l’enten- dement. Cette diversité biologique, Charles Darwin est parvenu à l’expli- quer grâce à sa théorie sur l’évolution que l’on résume souvent par «la loi du plus fort». Or Darwin détestait cette expression. «Damn, no!» s’exclamait-il à chaque fois qu’il était confronté à cette interprétation réductrice de son œuvre. A la place, il proposait une (*) L’adjectif « aposématique » se réfère au patron de couleurs adopté par certaines espèces animales ou végétales pour dissuader les prédateurs de les atta- quer. Car les couleurs ainsi arborées, généralement vives, signalent leur toxicité. Le vrai monarque La larve qui se prend pour elle Les orchidées se déguisent en abeilles Un mâle se fait avoir La vraie vipère Le faux

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