Extrait L'Objet d'Art hors-série n°160

dans deux espaces aménagés par l’archi- tecte au premier étage de la partie occi- dentale de la demeure : la chambre ab- batiale est ainsi placée entre une galerie, qui s’étire côté cour, et la chapelle privée, dont l’autel, orienté, est en surplomb sur le jardin au moyen d’un oriel. À l’intérieur, rien ne subsiste des dispo- sitions d’origine, sinon des volumes. Les pièces carrelées, plafonnées de poutres et solives, étaient équipées, pour les prin- cipales, de grandes cheminées de pierre, dont deux ont été remplacées en 1856 par des éléments rapportés. Seule la chapelle a conservé son riche décor sculpté, à la réserve des statues des niches, détruites par le vandalisme révolutionnaire. Sa ré- cente restauration (2015) est venue rappe- ler combien elle était exceptionnelle : du pilier central se déploient quatre voûtes d’ogives à liernes et tiercerons, où s’épa- nouit toute la grâce du style flamboyant. UN PETIT CHÂTEAU URBAIN ? La silhouette de l’hôtel de Cluny est également remarquable. Le passant découvre d’abord une façade sur rue dégageant une impression d’austérité : entre deux étroits pignons aveugles s’étire un long mur sommé de créneaux, avec une double porte cochère et piétonne. Les créneaux sont évidemment décora- tifs, et le chemin de ronde suspendu, supprimé au milieu du XX e siècle, était une fantaisie des restaurateurs. À ce signe dé- fensif, devenu purement symbolique, s’ajoute la haute tour de l’escalier, qui opère visuellement comme une sorte de donjon, élément familier aux contemporains. Il s’agit en réalité de la grande vis de la demeure, surmontée d’une plateforme servant de belvédère, accessible par une petite vis latérale. Depuis ce point haut, on pouvait admirer la montagne Sainte-Geneviève monter vers le sud, et au nord, juste à ras de faîtage, la masse de la cathédrale Notre-Dame en son île. Au XVIII e siècle, cette plateforme recevra un petit observatoire, connu par des des- criptions et des gravures, d’où l’on pouvait admirer des pay- sages plus lointains. Les façades sur la cour et sur le jardin de la demeure, soulignées de doubles cordons, sont marquées par une certaine robustesse. Seules les parties hautes, avec la balustrade flamboyante sur cour et les lucarnes sculptées, apportent un peu de légèreté. C’est dans la partie occidentale de l’hôtel que l’on peut admirer les plus grands ra"nements, articulant savamment l’architecture et l’espace. Sur la cour, le rez-de-chaussée de l’aile est ouvert sur les deux tiers de sa longueur par des arcades en tiers-point : cette galerie se prolonge dans le logis par une salle à la puissante voûte maçonnée. Sur le jardin, on retrouve cette idée : au rez- de-chaussée, une pièce voûtée que structure un élégant pilier central ouvre par deux arcades sur le jardin. Cette loggia surmon- tée par la chapelle communique aux appartements de l’abbé par une vis située dans l’angle, signe du ra"nement de son usage. UN MOMENT PATRIMONIAL Homogène et solidement bâti, l’édifice a connu tout au long de l’Ancien Régime un usage d’habitation, plus ou moins prestigieux, qui devait amener quelques altérations mineures, notamment des percements supplémentaires liés à la redistribution des dedans. Devenu bien national en 1790, l’hôtel est revendu dix ans plus tard, et envahi de plus belle par des locataires, petits artisans et gens modestes. Son sort semble suivre celui des demeures déchues de ce que l’on n’appelle pas encore le « vieux Paris ». En 1832, cepen- dant, l’installation d’Alexandre Du Sommerard au premier étage marque un tournant : sa riche collection d’art médiéval et moderne est réputée et attire bientôt les « antiquaires » et les curieux. L’année 1843 est décisive pour l’édifice. D’abord, en rachetant l’hôtel, l’État en assure la sauvegarde définitive. Le goût pour le passé national, qui travaille les élites françaises depuis une gé- nération, a évidemment joué un grand rôle, comme aussi sans doute la regrettable démolition, deux ans plus tôt, de l’hôtel de Pierre Legendre, alors appelé de La Trémoïlle, aux Halles. Surtout, le projet de créer, dans la demeure des anciens abbés de Cluny, un musée déployant les riches collections de Du Sommerard est accompli en juillet 1843, la nouvelle institution étant confiée à son fils, Edmond Du Sommerard. Le musée ouvre ses portes avec succès en mars suivant. C’est un autre « héritier », Albert Lenoir (1801-1891), fils du fameux créateur du musée des Monuments français, Alexandre Lenoir, qui se voit confier la res- tauration complète de l’édifice, qu’il avait déjà imaginée en 1833 dans une publication. Le musée de l’hôtel de Cluny apparaît donc comme l’illustration des rêves des pères fondateurs de la défense du passé national, accomplis par leurs héritiers directs – il est d’ailleurs classé Monument historique en 1846, avant même les thermes antiques voisins. Henri Édouard Truchot, Vue de la cour de l’hôtel de Cluny , vers 1820. Huile sur toile, H. 45 ; L. 25 cm. Inv. Cl. 23879. Photo © RMN-Grand Palais (musée de Cluny – musée national du Moyen Âge) / Stéphane Maréchalle Vue de l’hôtel de Cluny extraite du tome 6 du Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XI e au XVI e siècle d’Eugène Viollet-le-Duc, 1863 (éd.). Paris, bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art, collections Jacques Doucet, 8 K 389 (6). Photo Institut national d'histoire de l’art 13 L’OBJET D’ART HORS - SÉRIE MUSÉE DE CLUNY

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