Extrait L'Objet d'Art

L’art de paraître au XVIII e siècle | L’OBJET D’ART 13 L’histoire du costume et de sa représentation au Siècle des lumières est autant l’illustration d’une réalité matérielle qu’une création de l’imaginaire, celui d’une nouvelle culture et d’un véritable langage entre les élites. Si la naissance de la mode est d’abord celle de métiers émergents et d’une presse spécialisée, le rôle des peintres dans son élaboration et sa diffusion est essentiel. La confrontation des œuvres picturales et des costumes du XVIII e siècle de l’exposition permet d’explorer une nouvelle mise en scène du corps, entre exigence sociale et caprices du goût. Par Adeline Collange-Perugi MODE ET PEINTURE L’art de plaire au XVIII e siècle Au XVIII e siècle, les phénomènes de mode s’accélèrent autant en peinture que dans le vêtement, stimulés par le désir de représentation sociale, dans un jeu de compé- tition entre les élites dirigeantes et les classes montantes. Dans une logique originale du paraître et de la séduction, aristocrates et bourgeois prennent pour modèles leurs contemporains plus que leurs ancêtres. Les mobilités sociales s’accélèrent, banquiers, négociants et riches fermiers généraux se mêlent à l’aristocratie, et multiplient les portraits ostentatoires de leur réussite. Le déclin des lois somptuaires, de plus en plus mollement appliquées, qui normalisaient les codes de l’apparence sociale, lâche la bride aux désirs d’affirmation sociale d’une nouvelle bourgeoisie urbaine considérablement enrichie. La mode s’engouffre dans cette brèche de la hiérarchie des castes. Et si Jean-Jacques Rousseau condamne de façon acerbe le « luxe ostentatoire » qui pervertit l’intel- ligence des hommes, Montesquieu en fait le socle de la puissance du Prince et de la prospérité collective dans ses Lettres Persanes (1721), alors que Voltaire le réhabilite par une apologie rieuse et décomplexée dans Le Mondain (1736). « Le superflu, chose très nécessaire » (Voltaire) favorise les arts par l’aisance matérielle qu’il produit et expose. Le style français, porté à la fois par l’aristocratie et la haute bourgeoisie urbaine, s’impose dans toutes les cours et les villes d’Europe, comme le montre le Suédois Roslin. Nous sommes encore bien loin de la dénonciation des privilèges aristocratiques, politiques et financiers qui aboutira à la Révolution. “Vaines bagatelles qu’ils semblent être, les vêtements ont […] un destin plus important que de nous tenir au chaud. Ils changent notre vision du monde et la vision que le monde a de nous.” Virginia Woolf, Orlando , 1928

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