Extrait L'Objet d'Art

UNE CONSCIENCE NATIONALE Du regroupement des cantons de la République helvétique de façon égalitaire en 1798, à la Constitution fédérale de 1874, la Confédération se structure progressivement. Parallèlement, se met en place une conception suisse des beaux-arts, du pa- trimoine et des musées. Néanmoins, l’attention accordée aux artistes suisses est antérieure au XIX e  siècle. Histoire et portrait des meilleurs peintres de la Suisse , premier ouvrage à leur être consacré, est publié en 1754-1757 par le portraitiste et écrivain Johann Caspar Füssli. « Si les artistes suisses n’égalent pas en grandeur et en renommée ceux d’autres nations, il y a peut-être parmi eux plus de génies que chez ces derniers » affirmait le père du célèbre Johann Heinrich Füssli. Les premières associations privées en faveur des arts sont créées dès le XVIII e siècle – à Genève en 1776, Zurich en 1787, puis à Bâle, Berne et Lucerne au début du siècle suivant. Actives au niveau local, elles consolident les liens entre les amateurs et les peintres, contribuant à créer des écoles et des collections publiques. Elles sont chapeautées à partir de 1806 par la Société suisse des artistes qui œuvre au niveau national en commandant des toiles sur des sujets volontiers patriotiques et en lançant le populaire « Turnus » en 1840, exposition itinérante organisée tous les deux ans. Toutefois, prenant le contre-pied de cette manifestation jugée trop partisane, plusieurs artistes fondent en 1865 la Société suisse des peintres et sculpteurs, tandis que le peintre Frank Buchser crée en 1885 la Ligue suisse des beaux-arts. Deux ans plus tard, par arrêté fédéral, la Confédération s’engage à encourager activement les arts grâce à d’importantes commandes, la création de bourses et l’organisation d’expositions. « SÈVES INDIGÈNES » ? « Est-ce que cela existe, l’art suisse, ou n’y a-t-il en somme que des artistes suisses ? » s’interroge l’historien de l’art Adolf Max Vogt en 1984. Nombre de spécialistes se sont posé la question de l’existence d’un art suisse, qui ne serait pas simplement un croisement d’influences venues d’Allemagne, de France et d’Italie, mais qui serait né des « fortes sèves indigènes [du] sol [suisse] 1 ». De par sa situation centrale en Europe, la Suisse est un pays de transit ouvert vers l’extérieur. Une double culture latine et germanique domine. Les artistes helvètes puisent volontiers leur inspiration dans l’art des pays voisins, de l’impressionnisme au symbolisme, et mènent leur carrière tant en Suisse qu’à l’étranger. Il faut souligner que si plusieurs écoles d’arts appliqués ont été créées au fil du XIX e siècle, seule Genève possède une école de dessin devenue école des beaux-arts en 1851. Les jeunes peintres partent donc parachever leur formation à l’étranger. Ceux de la Suisse romande se tournent plus particulièrement vers Paris et Bruxelles, ceux du Tessin et des Grisons se dirigent volontiers vers l’Italie (Milan, Rome ou Venise), et ceux de la Suisse alémanique optent souvent pour Munich ou Berlin, qui sont alors deux foyers très dynamiques. Notes 1. Manuel du XIV e Congrès international d’histoire de l’art à Bâle, 1936. 2. Sigmund Wagner, Nouveautés de toutes sortes sur l’art, le sens artistique, le goût, l’industrie et les mœurs , 1810.  Arnold Böcklin,  L’Île des morts (première version), 1880 Huile sur toile, 110,9 x 156,4 cm. Bâle, Kunstmuseum Données photographiques relevant du domaine public – Kunstmuseum Basel L’APPEL DE L’EUROPE Les scènes populaires du Neuchâtelois Léopold Robert (1794- 1835) rencontrent un franc succès à Rome. Le Vaudois Charles Gleyre (1806-1874), auteur de fresques historiques et de peintures de genre que Vallotton copiera à ses débuts, tient à Paris un atelier où il enseigne notamment à Auguste Renoir et Claude Monet. Quant au Bâlois Arnold Böcklin (1827-1901), c’est en Allemagne et en Italie qu’il diffuse ses peintures em- preintes de mystère. Dès cette époque, les Suisses se distinguent dans le genre du paysage, « le genre par excellence et le plus important de l’art suisse 2  ». Au mitan du siècle s’illustrent les paysagistes voyageurs Alexandre Calame (1810-1864), apprécié pour ses vues alpestres, et Barthélemy Menn (1815-1893), spécialisé dans les paysages romands. Passé par l’atelier d’Ingres avant de voyager à Rome, Venise et Florence, Menn enseigne un temps à Paris puis retourne définitivement en Suisse où il sera considéré comme un rénovateur de la peinture helvétique. Son élève Ferdinand Hodler confiera tout lui devoir. Barthélemy Menn,  Le Wetterhorn vu depuis le Hasliberg , 1843-45 Huile sur papier marouflé sur carton, 64 x 49,5 cm. Genève, Musée d’art et d’histoire © Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève – B. Jacot-Descombes L’OBJET D’ART | Modernités suisses 11

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