Extrait L'Objet d'Art

rançois Pinault a fait le choix d’installer ses musées dans des monuments histo- riques tout en invitant un grand architecte de notre temps, Tadao Ando, à les enrichir d’une contribution architecturale nouvelle qui deviendra, pour chacun d’entre eux, j’en suis persuadé, l’une des composantes de leur personnalité patrimoniale. À Venise, c’est depuis 2006 que le Palazzo Grassi et, depuis 2009, la Punta della Dogana invitent le public à travers un programme d’expositions thé- matiques et monographiques à découvrir la richesse d’une collection qui rassemble désormais près de 10 000 œuvres, celles de François Pinault. Ces deux bâtiments sont, chacun à sa manière, d’insignes témoignages de l’histoire de la cité des Doges. La douane de mer, à la pointe de Dorsoduro, fut le lieu de dédouanement des marchandises que la République de Venise, longtemps maîtresse de la Méditerranée, importait et exportait. Quant au Palazzo Grassi, c’est le dernier des palais construits sur le Grand Canal, sur un modèle romain plus que vénitien, à la veille de la chute de la sérénissime république et cela pour la famille Grassi qui avait fait fortune dans le commerce du bois, comme François Pinault le fera quelques siècles plus tard. À Paris, c’est sur un bâtiment bien singulier que s’est por- té le choix du collectionneur, celui de ce bâtiment rond, au cœur de la ville, qui abrita, au XVIII e siècle, sa Halle au blé. La forme circulaire du bâtiment en enracine l’histoire dans les utopies architecturales de la fin du Siècle des lumières où se retrouvent à la fois les réalisations et les projets inaccom- plis de Claude-Nicolas Ledoux et Étienne-Louis Boullée. Si la coupole métallique, réalisée en 1811 par François-Joseph Bélanger avec le concours du jeune Jacques Ignace Hitto- r", né à Cologne et faisant alors ses premiers pas dans le monde de l’architecture parisienne, a été classée parmi les monuments historiques, c’est parce qu’elle est le témoin pré- coce du triomphe annoncé de l’architecture industrielle, de l’architecture de fer et de fonte dont la tour Ei"el est le plus illustre exemple. Quant à l’enveloppe intérieure et extérieure du bâtiment, réalisée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, elle est l’expression même du triomphe des styles éclectiques de la fin du XIX e siècle, de ce que l’historien de l’architecture américain, Arthur Drexler, a appelé « The Archi- tecture of the École des Beaux-Arts », avec son goût pour la profusion décorative. C’est donc un bâtiment riche et singulier que découvrent les visiteurs de la Collection Pinault qui ont ainsi la possibi- lité d’admirer également la rencontre qui s’y est produite, une nouvelle fois, entre un patrimoine scrupuleusement restauré sous la conduite d’un grand architecte en chef des monuments historiques, Pierre-Antoine Gatier, et l’architec- ture de notre temps conçue par Tadao Ando et l’équipe réunie dans le cadre de l’agence NeM autour de Lucie Niney et de Thibault Marca. Le travail des uns et des autres aura permis de démontrer, une nouvelle fois et si besoin était, qu’entre le souci scrupuleux de préserver et de transmettre les chefs- d’œuvre que les siècles passés nous ont légués et celui de promouvoir une création architecturale de qualité, il n’y avait ni compétition, ni concurrence, ni confrontation, ni conflit. C’est de façon tout aussi harmonieuse que le mobilier conçu par Erwan et Ronan Bouroullec, pour l’intérieur et les abords du bâtiment, trouve tout naturellement sa place parmi les mosaïques réalisées en 1889 par la Maison J. Fourcade de Perpignan, comme l’indique, dans le vestibule, le cartouche qui signe l’ouvrage. Ces rencontres fortes entre des objets d’hier et des objets d’aujourd’hui sont la signature même de la Bourse de Commerce, rencontre entre les grandes pein- tures de la voûte, signées par cinq artistes, Alexis-Joseph Mazerolle, Évariste Vital Luminais, Désiré François Laugée, Georges Clairin et Marie-Félix Hippolyte-Lucas, et les œuvres contemporaines de la Collection Pinault, rencontre également entre les lanternes de ferronnerie réalisées par les fonde- ries du Val d’Osne qui encadrent l’entrée du bâtiment et les lustres conçus par les Bouroullec pour les deux escaliers du XIX e siècle et celui, à double révolution, du XVIII e . Le programme inaugural du nouveau musée d’art contem- porain qui accueille le public depuis cette année, après une année si éprouvante pour la France et pour le monde, après une année qui a donné lieu à tant de fermetures, où les visages se sont dissimulés, où chacun a pu craindre que c’était l’autre qui devenait porteur de menace et de danger et qu’il l’était lui-même pour l’autre, se présente tout simplement sous le titre d’« Ouverture ». Ce titre est une sorte de manifeste qui porte en lui la conviction que l’avenir de l’art et de la culture, c’est bien la capacité des institutions, des acteurs culturels, des créateurs et du public à s’ouvrir, à s’ouvrir à la diversité de la création, à son inépuisable faculté à se renouveler, à s’ouvrir aux échanges, c’est-à-dire au par- tage respectueux des di"érences, à s’ouvrir à la nécessité de conquérir, chaque jour, pour l’art, de nouveaux publics. Jean-Jacques Aillagon OUVERTURE(S) Directeur général de Pinault Collection 4 L’OBJET D’ART HORS - SÉRIE BOURSE DE COMMERCE LA BOURSE DE COMMERCE

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