Extrait L'Objet d'Art

Qui est Luca Giordano ? Il est le plus grand peintre baroque après Rubens selon moi. C’est aussi un formidable homme d’affaires. Se- lon l’expression du peintre et historien de l’art Bernardo De Dominici (1729), Luca Giordano possède cette « danna- ta libertà di coscienza » (littéralement « damnée liberté de conscience ») qui se reflète dans sa manière de peindre. Son style est tellement libre qu’il fait peur. Je le considère en somme comme le plus grand peintre napolitain de tous les temps. Le grand public ne connaît pas vrai- ment ce peintre. Qu’en pensez-vous ? La question peut paraître curieuse pour un Napolitain, et plus encore pour un historien de l’art italien, car Luca Giordano est le plus étudié des ar- tistes baroques après Caravage. Mais il est vrai qu’il ne bénéficie pas de l’aura de ce dernier auprès du grand public, même en Italie. Pour preuve, la première grande exposition monographique qui lui a été consacrée dans la Péninsule date de 2001. En France, l’artiste n’a ja- mais reçu les honneurs d’un tel événe- ment. Cela est pourtant tout à fait légiti- mé par l’intérêt que les peintres français ont manifesté à son égard. L’artiste est en effet bien connu de ses homologues français aux XVIII e et XIX e siècles. Tout à fait. On peut considérer que la redécouverte de l’art de Giordano est le fait des artistes et voyageurs français venus à Naples durant la se- conde moitié du XVIII e siècle pour en étudier les trésors. Parmi eux, je cite- rais Jean-Honoré Fragonard, Hubert Robert, ainsi que l’abbé de Saint- Non [auteur du Voyage pittoresque ou Description des Royaumes de Naples et de Sicile , Paris, 1781]. Tous copièrent les œuvres du maître. Para- doxalement, Luca Giordano est plus important en France qu’en Italie du- rant le XVIII e siècle. Pourtant, contrai- rement au Bernin par exemple, il n’a jamais séjourné à Paris ; Louis XIV lui commanda certes des tableaux par l’intermédiaire d’un de ses agents à Rome mais le peintre ne les exécuta jamais. Qui sait ce qu’il aurait pu ré- aliser s’il s’y était rendu : des décors pour Versailles ? Son influence s’exerça sur des artistes que l’on penserait éloignés du maître. Je pense par exemple à Jacques- Louis David qui, dans son Saint Roch intercédant auprès de la Vierge pour la guérison des pestiférés (Marseille, musée des Beaux-Arts, 1780), s’inspira vraisemblablement du Saint Janvier in- tercédant pour la cessation de la peste (voir p. 40) exposé ici pour la première fois à Paris. Ce grand retable fut d’ail- leurs également important pour Géri- cault : le peintre romantique s’inspira sans doute du premier plan pour son chef-d’œuvre exposé au Salon en 1819, Le Radeau de la Méduse . La fortune de Giordano en France évo- lue ensuite de manière singulière : les artistes le confondent en effet avec STEFANO CAUSA, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÀ DEGLI STUDI SUOR ORSOLA BENINCASA, NAPLES. COMMISSAIRE DE L’EXPOSITION. PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE BROUARD. Luca Giordano (1634-1705) fut sans conteste le plus grand peintre napolitain du XVII e siècle. Aussi talentueux que prolifique, cet artiste et homme d’affaires habile a joui d’une immense renommée en Europe. Le Petit Palais lui consacre sa toute première rétrospective française en réunissant une centaine d’œuvres, dont quelques tableaux de très grand format. L’APOTHÉOSE DU ENTRETIEN AVEC LE COMMISSAIRE v Saint Thomas de Villeneuve distribuant les aumônes, 1658. Détail. Huile sur toile, 350 x 230 cm. Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte. Photo service de presse © Studio digital Speranza

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