Extrait L'Objet d'Art

Degas à l’Opéra 9 et la chorégraphie est primordial. Il souhaitait devenir le classique de son époque et réaliser des peintures d’histoire liées à son temps. Cette opportunité, il la trouve à l’opéra. Degas dessine-t-il lorsqu’il se rend à l’opéra ? L. J. Il fait de petits croquis dans des carnets que nous présentons. Travail- ler sur le vif n’est cependant pas com- patible avec sa volonté de composer, de reconstruire, de maîtriser son art. Il aime l’expérimentation pratique, le rap- port aux différentes matières : il lui faut donc l’espace de l’atelier pour travailler. M. K. La puissance de la mémoire visuelle de Degas est telle qu’il n’a pas besoin de saisir les choses sur le vif autrement que par l’œil. Il dit d’ail- leurs : « Nul art n’est moins spontané que le mien. » Les ballerines viennent dans son atelier, c’est là que se passe le travail répété sur le corps, le geste, leur représentation. Ensuite débute la recomposition, la réinvention. Quel lien l’opéra a-t-il avec les autres sujets peints par Degas ? L. J. L’exposition montre la continuité de ses recherches. Entre les dessins ingresques des débuts et les dessins très audacieux de la fin, entre ses dif- férents sujets, tout est lié, et l’opéra est un catalyseur de l’art de Degas. M. K. Le projet de l’exposition est de montrer que l’opéra est l’endroit de nombreuses bascules formelles, thé- matiques et techniques. Une sorte de grande ligne traverse son œuvre, qui passe par l’opéra et permet d’aborder ici le monde de la prostitution, là celui de la course ou le portrait. Regarder l’opéra, ce n’est pas faire une expo- sition sur la musique ou sur la danse, c’est faire une exposition monde qui donne les clés de compréhension de l’un des laboratoires les plus fertiles pour Degas. L’opéra lui permet en effet d’expé- rimenter de nombreuses techniques et des cadrages novateurs. Com- ment cela se traduit-il ? L. J. L’opéra est le seul domaine avec lequel il a expérimenté toutes les techniques, puisque la seule sculp- ture qu’il a exposée au public est la Petite Danseuse de quatorze ans (page 59). La majorité des éventails qu’il a créés ont pour thème des ballets. Il réalise également des des- sins, des monotypes, des estampes, des photographies, des éventails, des pastels… L’opéra est aussi une matrice dans sa manière même de créer. Chaque soir s’y déroule une performance, la répétition d’un spectacle qui est toujours le même tout en étant un peu différent. Degas procède ainsi lorsqu’il pratique la cire, le dessin ou le pastel : il varie, agrandit avec le calque… M. K. Tout cela n’est que l’expression d’une grande tension entre la réalité du spectacle, de ce qui est vu, et l’imagi- nation formidable de ceux qui créent. Tout au long de sa carrière, on a bien du mal à associer ses œuvres à un spec- tacle particulier ; à la toute fin, il n’y a plus de lien du tout. Le décor n’a plus tant d’importance que par le passé : l’arrière-plan devient un monde en soi, qui peut se faire paysage, bien qu’il soit issu des réalités de la scène. Degas joue avec ce qui est vu, vécu, et le sou- venir, ce qui est réinventé et imaginé. Y a-t-il une corrélation entre le choix d’une de ces techniques et le sujet de l’œuvre ? M. K. Il y a toujours chez Degas une recherche technique. Il est à l’affût de ce qui peut se dire de neuf et cherche le moyen de dire le plus éloquemment ce qu’il regarde, notamment par de nouveaux moyens. On peut discerner deux pôles. Celui du noir et du blanc, c’est-à-dire du clair-obscur — et la salle d’opéra n’est rien d’autre qu’un La Classe de danse , 1873. Huile sur toile, 47,6 x 53,8 cm. Washington, National Gallery of Art © Washington, National Gallery of Art / NGA Images Entretien « Travailler sur le vif n’est pas compatible avec sa volonté de composer, de reconstruire, de maîtriser son art. »

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