Extrait L'Objet d'Art

6 L’OBJET D’ART HORS-SÉRIE | N° 140 L’opéra est présent dans l’œuvre de Degas dès les années 1860. Comment naît son intérêt pour ce lieu et ceux qui y travaillent ? Marine Kisiel : Degas vient à l’opéra par la musique, non seulement en rai- son de l’attrait que le milieu auquel il appartient éprouve pour ce lieu, mais aussi parce qu’il naît dans un monde où la musique et la performance musi- cale sont centraux. Son père, Auguste De Gas, tenait tous les lundis un salon où il invitait des musiciens à jouer. Quand commence-t-il à fréquenter l’opéra ? Leïla Jarbouai : Degas s’abonne au début des années 1880. Ce n’est qu’à partir de ce moment qu’il a accès aux coulisses. Or, il avait déjà peint de nombreuses répétitions de ballet auparavant. Il se rendait régu- lièrement à l’opéra, mais ce n’est pas documenté. Certains de ses amis, comme Ludovic Halévy, ont pu lui permettre de s’y rendre occasion– nellement. Degas semble s’intéresser d’abord aux musiciens, les danseuses n’apparaissant qu’au second plan, puis elles deviennent le sujet central de ses œuvres sur l’opéra. Comment ce glissement s’opère-t-il ? M. K. Degas voit l’opéra par étapes. Il passe d’abord par des descriptions du monde de la salle, liées à ses amitiés puisque le tableau clé est L’Orchestre de l’opéra du musée d’Orsay, portrait du bassoniste Dihau. Cela amène à un regard non seulement vers la fosse d’orchestre, mais aussi vers ce que l’on voit au-delà de la rampe, c’est- à-dire le monde des danseuses, pour l’instant fragmentaires. Degas veut représenter différentes facettes d’un monde clos, où la lumière sculpte les corps et où il décide de voir ce que jusqu’alors on ne représente pas : les jeux entre les protagonistes dans le public, leur lien avec l’orchestre, avec le monde de la scène, puis de la cou- lisse, ce qui conduit à la question des danseuses, de leur parcours, voire de leurs mœurs. L. J. Ce qui fascine Degas, c’est que l’opéra est à la fois un monde d’arti- fices et un microcosme de la société de l’époque. Il y trouve l’artifice de l’art, qui relève de la reconstruction et du travail, et aussi ce qui répond à sa volonté de réalisme, voire de naturalisme. Les danseuses sont un syncrétisme entre leur origine souvent populaire, un certain vul- gaire, et la beauté des costumes, la transformation de leur propre corps par le travail. Degas trouve dans l’opéra ces aspects contradictoires. Son intérêt pour le corps humain Entretien L’Entrée en scène , 1876-1883. Huile sur toile, 24,2 x 18,8 cm. Washington, National Gallery of Art © Washington, National Gallery of Art / NGA Images « Degas décide de voir ce que jusqu’alors on ne représente pas. »

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