Extrait L'Objet d'Art

3 FÉVRIER 2023 L ’ OBJET D ’ ART Chère lectrice, cher lecteur, On connaissait les aventures de Martine, imaginées par Gilbert Delahaye, illustrées par Marcel Marlier et publiées à partir de 1954 à Tournai ( Martine à la ferme ) chez l’éditeur belge Casterman. Celles de Roselyne viennent de paraître chez Plon, à Paris. Dans le registre littérairedesGrossesTêtes, émailléd’illéisme(le fait de parler de soi à la troisième personne), l'ancienneministre de la Culture raconte ses aventures. «Roselyne rencontre Emmanuel », «Roselyne assiste à la cérémonie des Césars », « Roselyne va au spectacle », « Roselyne a un emploi du temps de ministre ÉPOUVANTABLE », « Roselyne a une âme de midinette », « Roselyne retourne dans son (cher) Pays basque »... nombreux sont les épisodes qui ponctuent ces 682 jours passés au ministère. Certains chroniqueurs politiques en ont fait gorge chaude, ravis d’avoir à semettre sous la dent quelques anecdotes « croustillantes », de lire ici et là les coups de griffe lancés, non sans raison et souvent avec verve et drôlerie, à l’hypocrisie d’une certaine sphère politico-culturelle. Le bilan de la dernière boute-en-train de la rue de Valois n’est pourtant pas si réjouissant. « Roselyne va à l’opéra », malgré sa passion pour l’art lyrique, n’a, par exemple, rien résolu de la crise de fond qui mine l’institution. Et « Roselyne regarde un film » a été tout aussi impuissante face au problème des intermittents du spectacle. Curieusement, « Roselyne va au musée » est absente de ces 682 jours et «Roselyne s’intéresse au patrimoine»n’occupe que 33 pages sur 255, avec un seul chapitre, intitulé « Les invasions barbares ». De fait, dès les prémices de son livre, la ministre annonce la couleur : « Je n’ai jamais voulu sacrifier les hommes à la pierre, le spectacle vivant au patrimoine ». Nous proposons donc de rebaptiser son chapitre consacré au patrimoine : « En avant les pelleteuses ». La malheureuse chapelle Saint-Joseph de Lille 1 y est rasée une deuxième fois, ses défenseurs qualifiés de méchants réactionnaires, et la destruction des pauvres églises de campagne des XIX e et XX e siècles, ce patrimoine des humbles qui forge, autant que les grandes cathédrales, une identité culturelle profonde, y est froidement prédite, faute d’argent pour les sauver. Les modestes pavillons individuels desdits humbles sont d’ailleurs fustigés au passage et condamnés, ou presque, eux aussi à la pelleteuse... par « Roselyne ambassadrice d’une écologie punitive et arrogante ». Roselyne au ministère de la Culture Certes, « Roselyne obtient des crédits » peut se féliciter d’avoir augmenté le budget de la culture et, en particulier, celui dévolu au patrimoine. Elle dénonce aussi les effets désastreux de la loi Elan, votée durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron – qui rend l’avis des Architectes des Bâtiments de France consultatif et a permis aux maires de Foix et de Perpignan de raser les immeubles anciens et de caractère des quartiers historiques de leur ville. Il n’en demeure pasmoins que sa sensibilité au patrimoine est inversement proportionnelle à l’ardeur guerrière d’une walkyrie wagnérienne. En témoigne encore le rond-point du Trocadéro : ancienne place du Roi de Rome, témoin d’un urbanisme parisien séculaire et patrimonial, il n’est, à ses yeux, qu’un banal « carrefour routier », qui ne saurait être classé face au projet d’aménagement intempestif du cabinet américain Gustafson Porter + Bowman voulu par une vraie vandale du patrimoine, la maire de Paris. Chère lectrice, cher lecteur, circulez, il n’y a rien à voir ! Et relisez les aventures de Martine et de ses petits compagnons, le chien Patapouf et le chat Moustache, infiniment plus sympathiques que celles de Roselyne et ses amis du microcosme politico-culturel parisien, ou plongez-vous dans les articles de votre Objet d’Art : vous n’ydécouvrirez pas, exceptionnellement, l’habituel entretien avec Pierre Rosenberg – mais rassurez-vous, il vous donne rendez-vous à nouveau le mois prochain. D’autres passionnants articles vous y attendent : un dossier sur Pierre Puget, celui qui faisait trembler lemarbre, un bilan dumarché de l’art 2022 ou encore un article sur les indispensables nécessaires de voyage, surtout par les temps de grève qui s’annoncent... Très bonne lecture ! Note 1 Voir la « Tribune libre du patrimoine », EOA n° 573, p. 8 et l’éditorial, EOA n° 576, p. 3. ÉDITORIAL

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