Extrait L'Objet d'Art

72 L’OBJET D’ART JUILLET-AOÛT 2022 Le château d’Haroué cerné de ses douves, vu depuis le village. © T. Franz HAROUÉ MIROIR DES GRANDES HEURES DE LA LORRAINE DUCALE Pour les duchés de Lorraine et de Bar, le XVIII e siècle marqua la fin de l’indépendance et l’intégration au royaume de France. Ils jetèrent leurs derniers feux sous les règnes des ducs Léopold, François III et Stanislas Leszczynski. Métamorphosé en palais, le château de Lunéville devint le siège de leur cour, qui conforta alors son statut de foyer artistique et culturel. Son rayonnement se perçoit jusque dans la vallée du Madon, au sud de Nancy, où la demeure des princes de Beauvau-Craon à Haroué re!ète toujours les fastes de ce temps 1 . / Par Thierry Franz, responsable du musée du château de Lunéville L’ÉCLAT DE LA FAVEUR L’architecture du château d’Haroué a gardé au fil des reconstruc- tions les marques d’une origine lointaine. Elle remonte à une maison forte bâtie ici au XIII e siècle, remodelée et embellie par la famille de Bassompierre à partir de 1585 et encore au début du siècle suivant, avant que les malheurs de la guerre de Trente Ans puis de l’occupa- tion française ne déferlent sur les duchés lorrains 2 . En 1698, le réta- blissement du duc Léopold (1679-1729) sur le trône de ses ancêtres sonna l’heure du renouveau. Né en exil à Innsbruck, capitale du Tyrol autrichien, le jeune souverain découvrit la Lorraine et restaura les anciennes institutions, avant d’épouser Élisabeth Charlotte d’Orléans (1676-1744), nièce de Louis XIV. Au sein de sa nouvelle cour, il conforta vite la situation de Marc de Beauvau-Craon (1679-1754), distingué par l’amitié ducale quelques années plus tôt sur les champs de bataille de Hongrie. Il appartenait à une ancienne famille angevine, passée au service de la maison de Lorraine au XV e siècle. Affable, il faisait figure de « bon garçon », même pour le très critique envoyé de Louis XIV Jean-Baptiste d’Audiffret, qui lui reconnaissait de l’esprit. Son crédit ne cessa de croître, surtout après son mariage, en 1704, avec Anne Marguerite de Ligniville (1686-1772), l’un des plus jolis sourires de l’en- tourage de la duchesse. Sa beauté et le charme de sa conversation ne devaient pas laisser Léopold insensible, et c’est ainsi que naquit une passion qui marqua tout son règne. Véritable Montespan lorraine, la favorite partageait avec l’altière maîtresse de Louis XIV le goût des traits spirituels et un tempérament piquant. Fait chambellan en 1698 puis grand maître de la garde-robe, Marc de Beauvau-Craon accéda, en 1711, à la charge enviée de grand écuyer. Léopold fit intervenir la cour impériale de Vienne pour que lui fussent accordés le titre de prince du Saint Empire, en 1722, puis le collier de la Toison d’or, en 1739. Quant à M me de Craon, elle obtint, en 1713, les fonctions de dame d’honneur de la duchesse, condamnée de la sorte à vivre dans l’ombre de sa trop magnifique rivale. Pour la duchesse, fille de la Palatine, toujours amoureuse de son « gros Tyrolien » de mari mais rattrapée par un embonpoint atavique, la comparaison n’était pas à son avantage. On voit en effet la favorite resplendir dans le por- trait que le Parisien Pierre Gobert (1662-1744) peignit en 1707, lors de son premier séjour à Lunéville. Le travesti mythologique tourne ici au faux-semblant. Le modèle pose en Vénus qui dérobe ses armes à l’Amour, l’empêchant ainsi de toucher les cœurs, comme si le statut d’épouse l’éloignait désormais de toute séduction. Elle envoûtait pour- tant et envoûterait encore, même après la naissance de vingt enfants. LES ÉTUDES INÉDITES DE L’OBJET D’ART

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