Extrait L'Objet d'Art

6 L’OBJET D’ART FÉVRIER 2022 Vingt-cinq ans après l’exposition du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, le Centre Pompidou consacre une grande rétrospective au peintre allemand Georg Baselitz qui retrace quelque six décennies de carrière. L' exposition s’ouvre avec les années 1960, lorsque le jeune Hans- Georg Kern (né en 1938) emprunte à son village natal de Saxe, Großbaselitz, son nom d’artiste. L’autoportrait Tête – G (1960- 1961), inspiré d’un dessin d’aliéné, donne d’emblée le la : la peinture qui s’offre à nous dans la dizaine de salles du parcours est celle d’un homme en colère, qui ne craint ni la provocation ni le conflit. Né dans un pays ravagé par la guerre et les atrocités du nazisme, Baselitz n’entend pas participer à la réinstauration de quelque ordre que ce soit. Au contraire, il s’inscrit en marge de la peinture de son temps, y compris à Berlin-Ouest où il se réfugie en 1957 après qu’il a été exclu de son école d’art de Berlin-Est pour ne pas avoir satis- fait aux exigences du réalisme socialiste. La découverte des avant- gardes picturales mais aussi des écrits d’Artaud, de Lautréamont et de Beckett le pousse à rédiger avec son ami Eugen Schönebeck le Manifeste pandémonique (1961), très critique sur la situation sociale et politique de l’Allemagne, qui débouche sur desœuvres très sombres. La plus forte d’entre elles, La Grande Nuit foutue (1962-1963), où un jeune garçon – possiblement Hitler – sort son sexe et semasturbe, lui vaut un premier scandale retentissant et un procès pour obscénité. Il obtient néanmoins peu après une bourse de sixmois à la Villa Romana de Florence, grâce à laquelle il a l’opportunité d’étudier lesmaniéristes italiens. Séduit par leurs déformations et autres anamorphoses, il s’ins- pire de leur démarche non académique pour son cycle Helden [ Héros ], galerie de personnages (artistes, hommes revenant de la guerre...) perdus dans des paysages dévastés. Avec Les Grands Amis , où deux rescapés échouent à se donner la main, il dénonce la solitude de l’in- dividu face à l’histoire mais aussi la partition révoltante de son pays. Après son emménagement dans une grande ferme de Rhénanie- Palatinat avec femme et enfants, Baselitz poursuit sa déconstruction des conventions figuratives avec les Frakturbilder [ Tableaux fracturés ], qui réagencent les motifs ruraux à la manière d’un cadavre exquis. Au fil de cette série, il perturbe de plus en plus le sens de lecture de ses toiles EXPOSITIONS PARIS BASELITZ Tête – G , 1960-1961. Huile sur toile, 135 x 100 cm. Collection particulière. Photo service de presse. © Georg Baselitz 2022 / photo Jochen Littkemann, Berlin La Grande Nuit foutue , 1962-1963. Huile sur toile, 250 x 180 cm. Cologne, MuseumLudwig. Photo service de presse. © Georg Baselitz 2022 / photo Jochen Littkemann, Berlin

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