Extrait L'Objet d'Art

3 FÉVRIER 2022 L’OBJET D’ART Chères lectrices, chers lecteurs, Les premières décennies de ce nouveau millénaire sont peu à peu mar- quées par lamort des architectes stars de la deuxièmemoitié du XX e siècle, Ricardo Bofill, le 14 janvier dernier, Richard Rogers le 18 décembre 2021 et Ieoh Ming Pei le 16 mai 2019. Architecte utopiste, fasciné à la fois par Palladio, Ledoux et Gaudí, le Catalan Ricardo Bofill a laissé en France la place de Catalogne à Paris, le quartier Antigone à Montpellier et les Espaces d’Abraxas, à Noisy-le-Grand, en banlieue parisienne. Il rêvait de réinventer la ville, une ville plus humaine – sans y être parvenu, comme il le constatait lui-même dans un entre- tien accordé au Monde 1 , peut-être à cause de l’échelle colossale de ses réalisations. Associé aux architectes italiens Renzo Piano et Gianfranco Franchini, Richard Rogers inaugurait, en 1977, au Centre Georges-Pompidou, une de sesmarques de fabrique : unmusée composé de plateaux libérés, pour l’exposition des œuvres, de tous ré- seaux techniques, externalisés en dehors du bâtiment. Dans le Paris moderniste de Georges Pompidou, les tuyaux vifs et colorés du nouveau centre marquaient en France les débuts de l’irruption de l’architecture contemporaine dans le monde des musées – une révolution initiée en Italie dès les années 1950. À la National Gallery of Art deWashington, IeohMing Pei avait œuvré à cette révolution dans les années 1970. Sa venue à Paris pour le projet du Grand Louvre suscita les polémiques que l’on sait, tant à gauche qu’à droite. Vent debout, ses détracteurs réfutaient son choix radical d’une pyramide ; les plus étroits d’esprits allant même jusqu’à critiquer la venue d’un Américain d’origine chinoise pour un chantier qui aurait dû rester franco-français. Et pourtant... Moins de quarante ans après, cette pyramide est devenue, outre lamarque du Grand Louvre, l’attribut de l’excellence culturelle française, un symbole de la Nation, le lieu du rassemblement choisi par Emmanuel Macron au soir de son élection. Et il est vrai qu’en période électorale, il peut être tentant de la faire figurer sur des clips électoraux, comme d’autres grands monu- ments signés de ces géants de l’architecture contemporaine. Mais pour les apprentis vidéastes que sont nos candidats, il importe de connaître les règles du droit à l’image : Petit mémo à l’usage des candidats à la présidentielle qui tournent des vidéos 1) Les œuvres architecturales sont, comme les œuvres d’art, protégées par des droits d’auteur dès lors qu’elles présentent une dimension ar- tistique. Toute reproduction sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite (art. L 122-4 du Code de la propriété intellectuelle) 2) Ces droits d’auteur s’appliquent à tout bâtiment dont l’architecte n’est pas décédé depuis plus de 70 ans. Adieu donc, à la Cité radieuse de Le Corbusier pour prôner un avenir ensoleillé, mais oui à l’Arc de Triomphe pour une reprise manumilitari de l’avenir de la France. La tour Eiffel, autre symbole français, est maintenant aussi un choix possible, mais diurne seulement, car son éclairage nocturne est soumis à des droits. 3) Le Code du patrimoine (art. L 621-42) stipule que les immeubles constituant des domaines natio- naux présentant un lien excep- tionnel avec l’histoire de la Nation constituent une exception. L’utili- sation commerciale de leur image doit être soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire – sauf si cette image est utilisée « dans le cadre d’une mission de service public, à des fins culturelles, artis- tiques, pédagogiques, d’enseigne- ment, de recherche, d’information et d’illustration de l’actualité ». Depuis 2017, onze domaines nationaux ont été créés 2 ; parmi eux, le domaine de Chambord ou encore celui du Louvre et des Tuileries. Hélas, sans autre préambule, deux candidats d’une droite extrême ont fait fi- gurer la pyramide du Louvre sur leur clip , au contraire d'Emmanuel Macron qui en avait demandé l'autorisation le 7 mai 2017. Ou peut-être pensaient-ils faire œuvre pédagogique et artistique et non commerciale ? Et qu’entend d’ailleurs le législateur par «commercial »?LeLouvreademandéaussitôt aux candidats incriminés de retirer l’image illicite de leur vidéo. Se fût-il agi des monumen- tales sculptures de Jean Goujon dans la Cour carrée du palais, ou de candidats d'autres bords, qu'il en aurait été demême. Car, après tout, dans notre société moderne, la politique est un commerce, petit ou grand : on y vend, contre des voix, son image, et parfois quelques idées véritables et sincères. Chère lectrice, cher lecteur, une excellente lecture de votre Objet d’Art. La pyramide du Louvre. © Tous droits réservés ÉDITORIAL 1 Ricardo Bofill « Je n’ai pas réussi à changer la ville », Le Monde , 8 février 2014. 2 Les autres sont : le château d’Angers, le Palais du Rhin à Strasbourg, le domaine de Pau, le Palais de l’Élysée, le Palais de la Cité, le domaine du Palais-Royal, le château de Vincennes, le château de Coucy, le château de Pierrefonds.

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