Extrait L'Objet d'Art

54 L’OBJET D’ART FÉVRIER 2022 PAUL KLEE AUXORIGINES DE L’ART En collaboration avec le Zentrum Paul Klee de Berne, le LaM propose une ambitieuse exposition qui analyse la manière dont le peintre renouvelle son langage plastique au contact de la Préhistoire, de l'art extra- occidental, mais aussi des travaux d'aliénés et des dessins d'enfants. / Par Brice Ameille, docteur en histoire de l’art R eprésenté par trois œuvres dans les collections du LaM, Paul Klee (1879-1940) était le seul artistemajeur à n’avoir pas en- core eu les honneurs d’une expositionmonographique au sein du musée. C’est désormais chose faite avec la rétrospective « Paul Klee, entre-mondes ». Si le titre intrigue et a le parfum d’un rébus poétique bien dans l’esprit du peintre, celui choisi par le Zentrum Paul Klee de Berne, coorganisateur de l’événement et principal pour- voyeur des œuvres rassemblées, se voulait plus explicite : « Ich will nichts wissen ». « JE NE VEUX RIEN SAVOIR » Tel est l’ardent désir de Paul Klee qui, très vite, éprouve le besoin d’ou- blier tout ce qu’il a appris pour parvenir à un art qui ait la fraîcheur et la verdeur des origines. Monet ou Cézanne, en leur temps, avaient déjà exprimé leur volonté de poser un œil neuf et naïf sur le monde pour mieux le saisir dans toute sa vérité. Mais l’ambition de Klee est différente dans la mesure où l’innocence l’intéresse moins que les débuts, le jaillissement primordial. Il se doute bien qu’il ne pourra ja- mais recouvrer un regard vierge devant la réalité mais les prémices de l’art l’obsèdent car c’est là, à cette source, que se tient l’avenir de la peinture, qu’il juge alors dans une impasse. Pour régénérer celle-ci, Klee se tourne, comme plusieurs de ses contemporains, vers l’art extra-occidental et prémoderne : statuaire africaine, masques et fétiches tribaux, objets du Moyen-Orient... Mais il s’intéresse aussi aux réalisations plastiques de la Préhistoire et, surtout, à la production d’individus totalement ignorés du système académique : celle des aliénés et des enfants. « Les enfants ne sont pasmoins doués et il y a une sagesse à la source de leurs dons ! Moins ils ont de savoir-faire et plus instructifs sont les exemples qu’ils nous offrent [...]. Des phénomènes parallèles se retrouvent chez les aliénés [...]. Tout cela est à prendre profondément au sérieux, plus sérieuse- ment que toutes les pinacothèques dès lors qu’il s’agit aujourd’hui de réformer la peinture » 1 , écrit-il en 1912, à l’occasion de la troisième exposition du Blaue Reiter à Munich. L’ART ASILAIRE Ces formes d’expression, toutes fort éloignées des canons classiques, constituent les grandes sources de son inspiration et autant de sec- tions dans le parcours de l’exposition. La scénographie, qui joue avec élégance des beaux volumes dumusée, présente documents et infor- mations au centre des salles, dans de petites pièces auxmurs ouverts. Leurs fenêtres donnent directement sur lesœuvres de Paul Klee (pas moins de 120 au total) accrochées tout autour. De la sorte, le regard comme le corps circulent et les va-et-vient tant physiques qu’intellec- tuels sont facilités. La première salle est consacrée à l’art asilaire que l’artiste a dès 1904- 1905 considéré avec bienveillance. L’époque est d’ailleurs à sa décou- verte : en 1911, le psychiatre suisse Hans Bertschinger écrit un article sur les « Hallucinations illustrées » que Klee lit probablement grâce à son ami neurologue Fritz Lotmar ; des collections sont constituées par les praticiens en France, mais surtout en Suisse et en Allemagne ; et au début des années 1920, les psychiatres Walter Morgenthaler et EXPOSITION Figure du soir , 1935. Aquarelle sur papier, 48 x 31 cm. Villeneuve-d’Ascq, LaM, donation Geneviève et Jean Masurel. Photo service de presse. © Photo : Philip Bernard

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