Extrait L'Objet d'Art

3 NOVEMBRE 2021 L’OBJET D’ART Chères lectrices, chers lecteurs, Cette année 2021 se termine avec un événement heureux, voire miraculeux, l’inauguration des décors remontés de la Chancellerie d’Orléans dans le quadrilatère des Archives nationales, au rez-de- chaussée de l’hôtel de Rohan. C’est la couverture et le dossier prin- cipal de votre numéro ; le sujet aussi d’un livre de référence à paraître aux Éditions Faton en décembre, à com- mander dès maintenant sur notre site www.faton.fr . Ce miracle de la Chancellerie tient à la fois du roman de Miguel de Cervantes, L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche , de la parabole de la fille prodigue et de la légende des douze travaux d’Hercule. Commençons pa r le roman de Cervantes. Le rôle-titre en est, dans cette adaptation du XXI e siècle, incarné par Bertrand du Vignaud . À l’exception de la barbiche et des moustaches des illustrations gravées de Gustave Doré, il en a d’ailleurs l’allure, le regard bleu et agile tombant d’une silhouette immensément longiligne. Cérébral, fantasque, souvent imprévisible, il est mu par un amour viscéral du patrimoine. Ses moulins, ceux d’une vie, ont été les décors de la Chancellerie : lorsque, jeune homme, il découvre l’architecte Charles De Wailly, c’est lui qui, le premier, va ouvrir les caisses des décors dormant dans l’entrepôt d’Asnières, en fait un premier inventaire, se bat pour leur remontage, trouve les premiers subsides... jusqu’à ce que les Archives nationales et la Banque de France reprennent entièrement, il y a quelques années, le chantier d’unemain demaître pour lemener enfin à bien. Il faut donc lui rendre justice et célébrer à travers lui tous les nobles Don Quichotte de la Manche se battant pour le patrimoine. La fille prodigue, c’est la Banque de France . Enrichie au début du XX e siècle, elle détruit, sans scrupule, pour s’agrandir, un des fleurons du patrimoine français : le magnifique hôtel du marquis de Voyer d’Argenson, dont elle met en caisse les décors, comme on met dans des cartons, dans la gueniza des synagogues, les documents religieux, Le miracle de la Chancellerie d’Orléans et parfois profanes, devenus inutilisables, avant de les enterrer dignement au cimetière. Après un temps biblique (presque cent ans), la Banque de France se repend et apporte finalement un soutien sans faille au remontage des décors. Il faut donc la couvrir de baisers, à l’instar du père de l’enfant prodigue qui couvre de baisers son fils perdu et revenu, et lui sacrifier, non pas un veau gras, mais une bonne bouteille de ces vins de Bourgogne tenus dans la plus haute estime au temps du marquis de Voyer d’Argenson. Terminonspar lesdouze travauxd’Hercule. Ils désignent dans la mythologie gréco- romaine les exploits réussis par le héros pour racheter le meurtre de sa femme Mégara.Àsonexemple,lesdeuxarchitectes en chef du chantier, les restaurateurs, doreurs, stucateurs,menuisiers et tous les métiers du patrimoine fédérés par l’Atelier Arcanes et les Ateliers de la Chapelle ont réussi l’exploit impossible de remonter les décors de cette Chancellerie : il faut avoir vu les morceaux découpés, délabrés et encrassés, observé leur travail patient pour comprendre l’incroyable tour de force qu’ont représenté l’assemblage et la restaurationdesmorceaux du puzzle dans une boîte qui n’était pas celle d’origine. Ces héros et ces héroïnes silencieux de l’enversdudécor, beaucoup tropmodestes, mériteraient à eux seuls, par leur savoir- faire et leur dextérité, une légende. Il faut donc les applaudir ! Moralité de l’histoire : Des guénizot du patrimoine s’imposent. On y mettrait en caisse tous les morceauxdesmonumentssacrifiésàlavindictedeladestruction,onattendrait la venue d’un ingénieux hidalgo du patrimoine, on trouverait un endroit pour les remonter et on ouvrirait une bouteille du vin sus-cité pour célébrer leur résurrection.Chacunadroitàunesecondechance.Lepatrimoineaussi. Chères lectrices, chers lecteurs, uneexcellente lecture ! Vue du grand salon de la Chancellerie d’Orléans. © Photographie Gilles Targat ÉDITORIAL