Extrait L'Objet d'Art

3 OCTOBRE 2021 L’OBJET D’ART Chères lectrices, chers lecteurs, Intitulé « Venus d’ailleurs. Matériaux et objets voyageurs », le nouveau parcours de la Petite Galerie du Louvre propose à ses visiteurs un long périple à travers les siècles et les continents. Il raconte comment, depuis la plus lointaine Antiquité, la quête de matériaux précieux et de l’exotisme a occupé les hommes, alimenté leurs rêves et inspiré quelques-unes de leurs plus belles créations artistiques. À l’heure de l’impérialisme grandissant de cette culture « woke » (éveillé en français) venue des États-Unis et d’un écologisme militant et radical, cette exposition fait néanmoins figure d’irréductible gauloise. Elle est en effet : - anti développement durable : on y apprend que les ressources de la terre ont été largement exploitées pour créer ces objets d’un luxe absolu et superflu que dénonçait déjà Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle au premier siècle de notre ère, et dont, bien après lui, princes et souverains ont continué à tirer un vain orgueil. - anti écologique : pour rapporter toutes ces richesses et matériaux précieux de lointains Cipango et au- tres confins planétaires, navires et caravanes ont sillonné terre et mer, insoucieux de leur empreinte carbone, sans considération aucune pour toute association de maintien d’un art de proximité qu’un acro- nyme moderne appliqué à l’agriculture désigne sous le nom d’AMAP. - contre la protection des espèces en voie de disparition : tels les extraordinaires pyxide andalouse d’al-Mughira, sainte Catherine d’Alexandrie gothique ou saint Sébastien baroque de Jacopo Agnesi, on y trouve un nombre scandaleux d’objets d’art en ivoire, matériau dont l’Union européenne, dans sa dernière directive de janvier 2021, préconise l’interdiction du commerce hors de ses frontières, au grand dam des antiquaires, et dont une éléphante du parti socialiste, Ségolène Royal, rêvait déjà d’interdire totalement la vente en 2016. « Ils allaient conquérir le fabuleux métal Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines… » José Maria de Heredia - contre le bien-être animal : le destinmalheureux des bêtes exotiques, offertes en pâture à la curiosité des puissants, y est froidement présenté, de Suleyman, l’éléphant originaire de Ceylan, mort à la cour viennoise de Maximilien II, du rhinocéros de Dürer, noyé lors du tragique naufrage du navire qui l’emportait vers la cour du pape Léon X, aux autruches des ménageries prestigieuses dont les plumes finissaient en haut des baldaquins royaux ou encore à la girafe du roi Charles X... - peu politiquement correcte : on y voit, parmi les pièces remarquables, des sucriers rocaille en argent, en forme d’esclaves portant des cannes à sucre, offerts (dans un geste inconsidéré) par la Société des Amis du Louvre en 1995, malgré l’indignation qu’a suscitée chez les philosophes, depuis le XVIII e siècle, l’horreur de l’esclavage et du commerce triangulaire. Mais quelle joie et quel émerveille- ment devant la beauté et la rareté de certaines œuvres ! La lecture du cata- logue de l’exposition, écrit par Philippe Malgouyres, à la fois érudit et vivant, vient avec bonheur compléter la visite de cette Petite Galerie ainsi transformée, le temps d’une saison, en un immense cabinet de curiosités. Chèrelectrice,cherlecteur,faireletourdumondeaufildesobjetsd’art,c’est une admirable leçon sur l’âme humaine, sa grandeur et ses noirceurs, un magnifique enchantement et une belle ouverture d’esprit.... Nous vous souhaitons donc une très belle découverte de votre nouvel Objet d’Art : vous y découvrirez un article sur les animaux de Versailles et la dynastie des Adam à Nancy, deux autres expositions phares de cet automne. Le rhinocéros Clara, d’après Johann Joachim Kändler. Porcelaine de Meissen, 10 x 17 x 6,8 cm. Paris, département des Objets d’art du musée du Louvre. Photo service de presse. © RMN - Grand Palais (musée du Louvre) - Martine Beck-Coppola ÉDITORIAL

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