Extrait L'Objet d'Art

3 AVRIL 2021 L’OBJET D’ART Chères lectrices, chers lecteurs, La France fête en cette année 2021 le bicentenaire de la mort de Napoléon – à travers unemyriade d’expositions à venir dans différents musées, avec en particulier une rétrospective immersive à La Villette de la vie du grand homme. C’est sans doute la première fois que des manifestations d’une telle importance sont organisées en France pour célébrer l’Empereur – dont l’image à l’heure des autodafés mémoriels collectifs est ternie par le rétablissement de l’esclavage, une décision condamnable, à laquelle il faut ajouter la promulgation du Code civil en 1804, privant, dans son article 1124, la femme de tout droit juridique, à l’instar desmineurs, des criminels et des handicapés mentaux. Nul n’est parfait dans ce bas monde – et ce Napoléon, grand macho devant l’Éternel et insensible aux droits de l’homme (tous genres confondus) reste néanmoins une figure exception- nelle de l’Histoire, un bel exemple d’as- cension et d’intégration sociale, celui d’un jeune Corse bagarreur (mais fort en calcul), né dans une famille pauvre d’émigrés italiens et se hissant au plus haut sommet de l’État. Nos satiristes politiques ont souvent attiré l’attention sur sa res- semblance physique avec notre président Macron – et sur la même fougue animant le cavalier franchissant un célèbre col alpin et le jeune énarque conquérant, manu militari ou presque, les sommets républi- cains. Cette flèche physionomiste est-elle pertinente ? On pourrait sans doute établir le même trait entre le large front et les yeux rap- prochés de la tête de Jules César récemment reconstituée par les archéologues et ceux du « petit Caporal » de notre V e République. Quoi qu’il en soit, notre illustre Empereur et notre valeureux président partagent un même souci de relance économique du pays, celui-là même qui a conduit Napoléon à rétablir les anciennes manufactures royales ruinées par la Révolution et à leur passer de nombreuses commandes pour réaffirmer la pompe de l’État ; celui-là aussi qui a poussé Emmanuel Macron à injecter dans notre économie des mil- Un Napoléon, des « véran » et des « castex » liards d’euros, à soutenir les industries de la culture et à freiner des quatre fers la mise en place des derniers confinements – malgré les cris d’alarme répétés des soignants. Ce primat compréhensible accordé à l’économie, souvent peu ration- nel dans ses choix (pourquoi avoir laissé s’agglutiner des milliers de personnes dans des centres com- merciaux et fermé des musées géné- ralement vides ?), est, certes, accep- table ou condamnable ; mais on peut regretter que la portée éthique n’en ait jamais été clairement énoncée et débattue : dans quelle limite, au pays des droits de l’homme, peut-on, doit- on risquer (et tolérer) qu’au nom des enjeux économiques et politiques, des tris soient faits à l’entrée des services de réanimation ou des blocs opératoires selon l’âge ou la maladie de ceux qui s’y présentent ? Et quelles traces laisseront ce non- dit sur l’inconscient des générations à venir, ce tribut quotidien de 300 morts que l’on tait désormais sous le masque technocratique de taux d’incidence déshumanisés ? Chères lectrices, chers lecteurs, la crise sociale, morale et sanitaire que nous traversons aura aumoins eu lemérite d’enrichir notre langue française de deux nouveaux noms, dont nous ne doutons pas qu’ils figureront bientôt au dictionnaire de l’Académie française : - Un « véran », discours émaillé de chiffres, dont la monocordie est à l’aune de la fluctuation des décisions qui y sont annoncées ; - Un « castex », problème insoluble, énoncé demanière paternaliste, avec un accent occitan aux notes chantantes qui ne doivent pas masquer un certain cynisme de nos hommes politiques. Une excellente lecture de votre nouvel Objet d’Art – vous y trouverez, entre autres, un article sur le « style Napoléon » et les mémoires d’un jardinier philosophe, celui de Giverny ! Antoine Jean Gros (1771-1835), Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa (11 mars 1799) (détail), 1804. Huile sur toile, 523 x 715 cm. Paris, musée du Louvre. © Photo Josse / Bridgeman Images ÉDITORIAL

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