Extrait L'Objet d'Art

3 MARS 2021 L’OBJET D’ART Chères lectrices, chers lecteurs, Tous les saints Thomas du pa- trimoine n’ont pu que se rendre à l’évidence devant le scandale des premières imagesmontrant la grande chapelle Saint-Joseph de Lille avec ses vitraux dé- montés et ses murs défoncés : début février, le peu recomman- dable Institut catholique de Lille se dépêchait demettre à exécu- tion son sombre plan de réduire en poussière un des fleurons du patrimoine lillois, avec la com- plicité d’une agence d’architec- ture qui devrait être interdite d’exercice et la bénédiction de notre très haut et très saint mi- nistère de la Culture. L’Objet d’Art , dans ses colonnes de décembre dernier (« Lille : une église menacée par... les catholiques », Tribune libre d’Alexandre Gady) s’était fait, comme de nombreux média, le relais des associations de défense du patrimoine après l’obtention du permis de démolir de la chapelle et le refus du ministère de la Culture le 20 octobre dernier d’intervenir pour la sauvegarder. La chapelle, rappelons-le, avait été construite en 1886-1887 par Augustin-Henri Mourcou au sein de l’enclos du nouveau collège Saint-Joseph des jésuites ; elle s’inscrivait dans un ensemble architectural cohérent, dont atteste le Palais Rameau voisin, et témoignait de l’œuvre d’un architecte majeur à Lille et dans le nord de la France. La dépose des vitraux de la chapelle fin janvier et l’entrée en action des pelle- teuses qui a suivi se sont déroulées sous les yeux des 600 élèves du collège Saint-Paul voisin. Grâce à la crise de la Covid-19, ils ont été heureusement protégés de la poussière des premiers décombres, mais non pas de la vision de leur chapelle détruite. Le patrimoine bâti séculaire, sa présence rassu- Vandalisme en bande organisée rante au sein des villes et des campagnes, est un facteur de cohésion et d’identité sociale. Que retiendront les petits col- légiens lillois du spectacle de ce vandalisme cyniquement organisé ? Et l’État pourra-t-il ensuite s’étonner de voir ses plus fiers monuments tagués et vandalisés, si d’aventure éclataient de nouvelles mani- festations populaires contre son jacobinisme ? Et pour- quoi, même chez des élites a priori « cultivées » – un architecte des ABF, des archi- tectes devant réfléchir à un vaste chantier pour de futurs étudiants, une ministre de la Culture – le patrimoine du XIX e siècle, au motif de son éclec- tisme, jouit-il toujours de si peu de considération ? Une chose est certaine : leministère de la Culture, en intervenant pour sauver la grande chapelle Saint-Joseph, aurait pu démontrer qu’il avait encore une utilité, et Roseline Bachelot qui crie, hélas, dans le désert depuis plusieurs semaines pour la réouverture desmusées, aurait exceptionnellement eu l’im- pression d’avoir de l’autorité. Nous vous souhaitons, chères lectrices, chers lecteurs, une excellente lecture de votre Objet d’Art – vous y trouverez un nouveau plaidoyer pour Chantilly – bien menacé aussi – ou d’étonnantes découvertes, comme les trésors de l’Hispanic Society à New York ou du Versailles lorrain, le château de Lunéville ! La chapelle Saint-Joseph de Lille en cours de destruction. © Photo : Étienne Poncelet « Si je ne vois dans ses mains les manettes de la pelleteuse, et si je ne mets mon doigt dans les trous béants de ses murs, et si je ne vois ses côtés éventrés, je ne le croirai point » Livre de l’Apocalypse du patrimoine , verset 02-21, réponse de saint Thomas, patron des architectes et des maçons, à saint Joseph, venu lui annoncer la destruction de sa grande chapelle à Lille. ÉDITORIAL

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