Extrait L'Objet d'Art

Une rare et importante collection d’orfèvrerie française sera bientôt sous le feu des enchères. Proposée par la maison Ader, elle se répartira en plusieurs vacations au cours de l’année 2021. Cet ensemble insigne a été réuni avec passion, entre les années 1970 et 2000, par Marcel Sztejnberg, octogénaire d’origine polonaise dont toute la famille a été exterminée à Auschwitz. C omposée d’objets d’usage quotidien, de belles pièces illustrant les arts de la table et d’autres plus raffinées qui s’échelonnent entre le XVI e , le XVII e et surtout le XVIII e siècle, cette collection témoigne d’une période qui bénéficiait d’artistes de grande compétence, reflet d’un art de vivre exceptionnel. Les objets – au nombre de 142 pour cette première vente – sont originaires de toutes les régions de France ; en effet, le but du collectionneur fut la qualité, l’état des poinçons et les provenances connues grâce à l’identification des armoiries. Quelques belles pièces parmi d’autres pourraient exciter la curiosité des amateurs, ainsi cette paire de boules à savon et à éponge de Martin Berthe (Paris 1722-1723) gravées d’armoiries (12 000/15/000 €), alors qu’un rare saupoudroir à sucre aux armes de Martin de Ratabon, évêque d’Ypres, est l’œuvre de Jean Willems, maître orfèvre à Dunkerque en 1685 (12 000/15 000 €). Restons dans la région du Nord avec une théière au manche en bois décoré d’une tête d’Africain réalisée par Pierre Louis Du Floo exerçant à Bergues en 1745 (15 000/20 000 €). Un « vermeilleux » présentoir gravé aux armes des familles de Mecklenburg-Strelitz et de Hesse- Darmstadt, daté entre 1757 et 1784, provient de Strasbourg (18 000/ 25 000 €). Ce florilège comprend aussi une rare paire de flambeaux « à la financière », dont l’exécution revient à Antoine I er Neyrat, maître orfèvre à Clermont-Ferrand, cité en 1683 (25 000/35 000 €). Comme le souligne Édouard de Sevin, expert de la vente : « Cette collection est un vrai voyage et un vrai plaisir pour les amateurs de belles tables et de poinçons rares ». Poinçons et maîtres orfèvres Depuis le XIII e siècle, pour éviter les fraudes, la loi régit la quantité de métal dans l’alliage utilisé par l’orfèvre, d’où l’appellation « titre de métal », grâce à la présence de poinçons et ce, depuis le Moyen Âge. Ces derniers donnent le nom de l’orfèvre, le lieu et la date de fabrication. Les poinçons de charge et de décharge sont la preuve de l’acquittement des droits fiscaux. Le chemin était difficile pour obtenir le droit d’êtremaître. Une longue période d’apprentissage était obligatoire avant d’être compagnon, ensuite il fallait passer un examen, puis effectuer un voyage de plusieurs années pour enrichir ses connaissances et enfin réaliser trois objets, appelés chefs-d’œuvre, devant être soumis à un jury. Une fois reçu, le nouveaumaître pouvait insculper son poinçon, c’est ainsi que la corporation garantissait la qualité des œuvres de ses membres. Plusieurs familles d’orfèvres se distinguèrent parmi lesquelles les Ballin ou Nicolas Delaunay, orfèvre du roi. Sous l’Ancien Régime, un grand nombre d’orfèvres remplirent des fonctions publiques, reçurent des lettres de noblesse et devinrent conseillers du roi ou ministres. Au XVII e siècle, des orfèvres protestants prêtèrent fidélité au roi. L’édit de Nantes (1598) aurait pu leur donner un sentiment de sécuritémais une crainte, justifiée, s’empara de ces familles d’orfèvres, certains partirent à l’étranger et d’autres se firent baptiser. En 1685, à la révocation de l’édit de Nantes, beaucoup de huguenots quittèrent la France et s’installèrent à l’étranger, comme Paul de Lamerie (1688- 1751) qui fut l’un des plus grands orfèvres de Londres. L’orfèvrerie française Depuis le XVI e siècle, le temps a fait son œuvre et très rares sont les objets d’orfèvrerie parvenus jusqu’à nous. Les propriétaires ont de tout temps recyclé leurs pièces d’argenterie pour en faire de nouvelles, mais en France les fontes royales ont signé l’arrêt demort de l’orfèvrerie. Le 3 décembre 1689, le roi annonça à la cour qu’il avait décidé d’envoyer à la monnaie toute l’argenterie en sa possession. Il s’agissait surtout du célèbre mobilier d’argent dont Louis XIV s’était entouré, forme de sacralisation du pouvoir. Il comportait des balustrades, des guéridons, des girandoles, des fauteuils, des chenets, des miroirs, des torchères CI-CONTRE (et détail ci-dessus). Quatre éléments d’une garniture de toilette en argent composée de deux grandes boîtes à poudre et de deux plus petites, Rennes 1750-1753. Maître orfèvre : Michel Eloy le Tailleur, reçu en 1739. Poids : 1391,4 g ; hauteur : 12,2 cm et 8,3 cm. Estimés : 80 000/120 000 € . © Ader Faisant certainement partie d’un ensemble important, ces quatre boîtes à poudre de forme circulaire dont le piédouche est repoussé d’un rang d’oves et de perles sont décorées de rocailles de feuillages, de coquilles et d’enroulements, comme leur couvercle. Elles portent les armes d’alliance des familles Gueheneuc de Boishue et Le Corgne, surmontées d’une couronne de marquis. Le succès des services de toilette est lié à la famille d’Orléans. Il comporte toujours de nombreux objets, comme des miroirs, des écuelles, des présentoirs, des coffrets à couture, des flacons, des brosses, des bougeoirs... Le service le plus important parvenu jusqu’à nous est celui deMary II, épouse de Guillaume III d’Angleterre, qui compte vingt-deux pièces en argent doré composées par des orfèvres parisiens (collection du duc de Devonshire). 25 JANVIER 2021 L’OBJET D’ART

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