Extrait L'Objet d'Art

3 JANVIER 2021 L’OBJET D’ART A u jeu de l’antonomase, qui a transformé le nomdu préfet Poubelle en un accessoire indispensable au recyclage écologique, un de Gaulle pourrait être un porte-avion ou une place (en étoile de pré- férence), un Pompidou, un centre culturel audacieux, unMitterrand, une vaste et venteuse bibliothèque, un Chirac, un temple des arts premiers... Mais que désignerait un Giscard d’Estaing ? Un musée du XIX e siècle, la vaste nef à l’intérieur de ce musée ou l’esplanade située devant ce même musée, ornée de pachydermes en bronze ? La question est sérieuse, bien que ces trois hypothèses, sur lesquelles cogitent ac- tuellement de hautes instances politiques et culturelles, ne rendent toutefois pas totalement justice à l’un des plus jeunes présidents de la V e République. Car, comme vous le lirez dans la« Tribune libre du patrimoine »de votre Objet d’Art , le sauvetage de la gare d’Orsay n’est que la partie émergée la plus célèbre de son action dans le domaine de la culture ; la liste en est longue, variée et souvent insoupçonnée. À la différence de Charles de Gaulle ou de François Mitterrand, portés essentiellement par une grande érudition littéraire, Valéry Giscard d’Estaing se nourrissait aussi d’un intérêt profond pour les arts, non pas ceux des horizons extra-européens qui fascinaient Jacques Chirac, mais les arts de la vieille Europe, de ses racines ( on ne ferme pas la porte à Platon ) à ses âges d’or et à ses foisonnements. Un amphi- théâtre romain, les volutes d’un siège Louis XV, l’œuvre d’un Chardin... étaient pour lui autant de champs de prédilection. C’était aussi le président des paradoxes. Celui du jeunisme du pouvoir et de son isolement guindé. Celui des camionnettes de laitiers heur- tées au petit matin et des princesses à la peau nacrée fantasmées. Ce- lui aussi demémoires terminées par une réélection imaginaire contre François Mitterrand – biffée ensuite d’un trait de plume. Interrogé, à la télévision, sur ce repentir, il répondait alors, avec cet accent tout à fait inimitable qui a fait la joie des humoristes, qu’il y avait, voyez-vous, deux réalités, celle qu’on vit, et l’autre, celle qui aurait pu avoir lieu et qui n’était pas forcement moindre. Chères lectrices, chers lecteurs, chers abonnés, De fait, chères lectrices, chers lecteurs, de ces deux réalités, laquelle est la plus vraie ? Celle des créatures que Léonard recommandait d’imaginer en contemplant les taches desmurs, celle des formes éphé- mères qui filent avec les nuages que les peintres glissent parfois dans leurs cieux, celle de Shakespeare soufflant dans La Tempête « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves – et notre petite vie est enveloppée de sommeil » ? Ou celle de la laitière contemplant d’unœil marri son lait renversé après en avoir fait fructifier par la pensée tout le prix et allant s’excuser au- près de son mari, en grand danger d’être battue ? Un fait est avéré : la naissance, le 8 juillet 1621, de Jean de La Fontaine, dont cette nouvelle année commémorera le quatrième centenaire. Laissons-lui la morale de cet éditorial : Quel esprit ne bat la campagne ? Qui ne fait châteaux en Espagne ? Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous, Autant les sages que les fous Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux : Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes : Tout le bien du monde est à nous, Tous les honneurs, toutes les femmes. [...] Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ; Je suis gros Jean comme devant. Giscard, grand bâtisseur de châteaux en Europe, gros Jean comme devant le soir du 31 mai 1981, aura été un très grand et merveilleux président ! Chers lecteurs, chères lectrices, nous vous souhaitons une excellente année 2021 – dans une réalité ou une autre... Jeanne Faton L’esplanade située devant le musée d’Orsay prendra-t-elle bientôt le nom de Valéry Giscard d’Estaing ? © Adobe Stock ÉDITORIAL

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