Extrait L'Objet d'Art

3 DÉCEMBRE 2020 L’OBJET D’ART Chères lectrices, chers lecteurs, chers abonnés, Il est à douter que lesmusées, qui possèdent des biens essentiels à l’âme humaine, desœuvres d’art, aient rouvert au1 er décembre (aumoment où vous lirez ce numéro), car, contrairement à leurs homologues américains (voir notre enquête p. 72), ils n’en font pas le petit commerce. Il vous faudra donc vraisemblablement patienter pour aller admi- rer au Louvre l’exceptionnelle exposition consacrée à la sculpture Renaissance de Donatello à Michel-Ange et que vous présente le dos- sier principal de ce nouvel Objet d’Art . Le confinement l’a, hélas, fait fermer et c’est vraiment dommage ! Car ellemontre comment, grâce à la leçon de Donatello, la secondemoi- tié du Quattrocento italien se tourne vers une Antiquité moins fière et plus expressive, oscillant entre ces deux extrêmes que sont la grâce et la fureur, mis en évidence grâce aux textes de l’historien de l’art allemand AbyWarburg (1866-1929). Ce dernier eut un destin singulier –né dans une riche famille de banquiers juifs, il se tourna vers l’histoire de l’art contre l’avis de sa famille, devint le père fondateur de l’iconologiemoderne et s’affirma comme un éminent spécia- liste de l’art de la Renaissance, tout en s’intéressant, lors d’un voyage aux États-Unis en 1895-1896, aux rituels des Indiens hopis ; il rapporta de ce séjour quelques clichés aux- quels personne ne prêta attention. La Première Guerremondiale déclen- cha chez lui une grave psychose. In- terné pendant plusieurs années, il proposa en 1923, à ses médecins, Le corps, l’âme et les Indiens hopis pour sortir de ce long confinement forcé, un étonnant marché : la pro- duction d’un travail scientifique contre sa liberté – et à une assemblée de soignants et de patients ébahis, il présenta le rituel du serpent chez les Indiens hopis, ses liens avec le paganisme grec et la Renaissance, dans ce même effort civilisateur de sublimer des peurs profondes. L’art a des vertus thérapeutiques. L’exposition du Louvre « Le corps et l’âme », particulièrement. Après la fureur et la grâce qui en ouvrent, tambour battant, la première section, vient celle consacrée au pathos religieux – on y redécouvre un monde sensible, où l’on peut voir tous les muscles du visage magnifiquement concourir à l’expression hu- maine, dans sa douleur ou son extase, un monde que l’on a envie de saisir et de prendre dans ses bras, un monde que l’on avait presque oublié tant le port d’unmasque et la distanciation sociale peuvent être aussi pernicieux pour l’âme qu’un virus dangereux pour le corps. Lorsque les musées rouvriront en- fin, un confinement prolongé dans les salles du Louvre s’imposera, non pas pour profiter, à l’occasion d’un Black Friday décalé, d’une promo- tion exceptionnelle sur la Joconde ou de la vente avantageuse d’un lot de plusieurs Poussin dont le Louvre conserve le plus important ensemble aumonde (les collections publiques françaises sont heureu- sement inaliénables !) – mais pour s’émouvoir, devant les œuvres de Donatello et de ses suiveurs, de la beauté d’une humanité démasquée et retrouvée. Bonnes fêtes de Noël ! Donato di Niccolo di Betto Bardi, dit Donatello, Crucifixion (détail), vers 1450-1455. © J.F. ÉDITORIAL

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