Extrait L'Objet d'Art

3 NOVEMBRE 2020 L’OBJET D’ART Chère lectrice, cher lecteur, En ce mois des premières froidures, les visages du Grand Siècle sont à l’honneur. Au château de Versailles d’abord, où se tient l’exposition « Rigaud ou le portrait Soleil », dont les Éditions Faton publient le cata- logue. Quelque 150 tableaux et bustes viennent illustrer la diversité de l’œuvre du portraitiste iconique de Louis XIV, ses rapports avec la sculpture, et permettent d’en comprendre toute la singularité. À Saint-Cloud, ensuite, où la princesse Palatine, figure tutélaire du Grand Siècle, jus- tement portraiturée par Rigaud en 1713, est de retour grâce à l’exposition que lui consacre lemusée des Avelines. Si sa vie avait fait l’ob- jet de plusieurs biographies, dont celle de Dirk Van der Cruysse en1988 chez Fayard, aucune exposition ne lui avait encore été consacrée. Quel était, en vérité, le vrai visage d’Élisabeth-Charlotte de Bavière, fille du comte électeur du Palatinat ? Elle arrive en France en 1671, à l’âge de 19 ans, pour épou- ser Monsieur, frère de Louis XIV, laissé veuf un an auparavant par lamort brutale d’Henriette d’Angleterre. Elle devient ainsi la seconde Madame de France, après la reine. Elle pré- fère Saint-Cloud, le domaine de Monsieur, à l’agitation de Versailles. Condamnée par son mariage à un exil sans retour, elle correspond avec l’Europe entière et livre un témoignage extraordinaire sur la cour du Roi-Soleil. Cible dès son enfance de remarques peu amènes sur son physique, raillée par son frère pour son « nez de blaireau », elle se dépeint elle- même sans ambages, « carrée comme un dé », avec un visage « ours- chat-singe ». Elle apparaît pourtant sur les portraits de jeunesse présentés au musée des Avelines comme une jeune fille séduisante aux rondeurs charmantes, bien éloignées encore de la monumentale masse contenue dans le portrait de Rigaud de 1713, où elle pose la main sur une couronne, vêtue d’un manteau fleurdelysé. De sonapparence, laPalatine, à vrai dire, s’enfichait. Mariée à« l’homme le plus efféminé de France », elle défraye la chronique par ses allures Visages du Grand Siècle de garçon manqué et le costume de chasse qu’elle arbore, à l’imitation de celui des hommes, pour chasser à cheval au côté de LouisXIV. Elle ne craint ni le grand air, ni l’irréparable outrage des ans, préfère les rides à l’éclat emprunté et refuse de se poudrer de blanc le visage comme le voulaient les artifices de la Cour. Des 60 000 lettres de la Palatine, 20 000 ont été retrouvées, écrites en français et en allemand ; certaines ont été retraduites pour l’exposition. Elles racontent le quotidien de la princesse, ses joies et sa plus grandehumiliation, lemariage for- cé de son fils, futur Régent, avec Mademoiselle de Blois, bâtarde de Louis XIV. Elles révèlent à la fois la«princessede l’ancien temps»décritepar Saint Simon dans ses Mémoires , farouchement attachée à l’étiquette et aux prérogatives de son rang, et unesprit d’une grande liberté, raillant les mœurs étriquées de ses contemporains, doté d’un humour souvent féroce, que reflètent, d’un portrait à l’autre de la Palatine, de Largillierre à Rigaud, un léger sourire amusé et des yeux pé- tillant de malice. C’est à cet esprit précurseur, au crépuscule du Grand Siècle, de celui des Lumières, que l’hu- mour et la dérision de soi éloignaient de tout fa- natisme, que le jeune Voltaire dédicace en 1718 sa première pièce de théâtre, Œdipe . C’est cet esprit qu’il faut aller saluer, sur la route de Ver- sailles, à Saint-Cloud dont la Palatine aimait tant le bon air et la vue qui lui rappelait celle de son enfance. Elle y mourut en 1722, après avoir rédigé son testament. Chère lectrice, cher lecteur, bonne visite ! « La princesse Palatine (1652-1722), La plume et le Soleil », jusqu’au 28 février 2021 au musée des Avelines de Saint-Cloud. www.musee-saintcloud.fr Nicolas de Largillierre (1656-1746), Portrait d’Élisabeth- Charlotte, duchesse d’Orléans, née princesse Palatine , vers 1680. Huile sur toile. Nancy, musée des Beaux-Arts. Photo service de presse. © C. Philippot ÉDITORIAL

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