Extrait L'Objet d'Art

3 OCTOBRE 2020 L’OBJET D’ART Chère lectrice, cher lecteur, Imaginerait-on aujourd’hui un vasteministère de l’Intérieur qui n’aurait pas seulement à veiller au maintien de l’ordre public, mais qui serait aussi en charge du commerce, de l’industrie, des arts et des inven- tions, des fabriques, desmanufactures et des musées ? Cette idée saugrenue pourrait faire sourire ou pousser des cris d’orfraie à certains, si un tel ministère n’avait été voulu, sous le Consulat, par Napoléon Bonaparte dont certains chro- niqueurs politiques contemporains se sont plu à souligner la ressemblance avec notre président actuel. Et si nous l’évoquons ici, ce n’est pas seule- ment parce que l’art qui transcende les es- prits pourrait peut-être réconcilier les plus sauvageons de nos concitoyens avec les plus musclés représentants de nos forces de l’ordre, mais parce que Jean Antoine Chaptal, en charge de ce ministère de l’Intérieur om- nipuissant, contribua grandement à la relève des manufactures françaises ruinées par la Révolution française, dont celle de la Savonne- rie : sans lui, lesmétiers de l’augustemanufac- ture de tapis à point noué, « façon Perse et du Levant », créée sous Henri IV, aurait peut-être cessé de battre et l’ouvrage écrit par Chantal Coural, Les Tapis du pouvoir , la manufacture de la Savonnerie dans la première moitié du XIX e siècle , auquel nous consacrons un article dans ce nouveau numéro de L’Objet d’Art , n’aurait pas vu le jour. Et cela aurait été regrettable ! Car pendant la premièremoitié du XIX e siècle, grâce au soutien constant de l’État et de personnalités exemplaires comme Chaptal, la Savonne- rie connaît un nouvel âge d’or, rythmé par les commandes, pour les palais impériaux et royaux, des plus grands tapis jamais tissés dans l’histoire des arts décoratifs français. Cette période de son histoire, à la différence des XVII e et XVIII e siècles étudiés par Pierre Verlet, restait jusqu’alors insoupçonnée, et son faste inédit. La générosité du savoir Chantal Coural consacra 20 ans de sa vie à la redécouverte de cette production exceptionnelle de la Savonnerie, un travail têtu et érudit de fourmi, qu’elle évoquait parfois avec des yeux gourmands lorsqu’elle venait dans les bureaux des Éditions Faton, fascinée par la beauté des fruits et des fleurs tissés par le savoir-faire ancestral des liciers ; ils ne constituaient pourtant que la seconde classe des tissages dans l’ordre des difficultés établi par le nouveau règlement de la manufacture en 1806, la première étant réservée aux casques et aux emblèmes plus masculins du pouvoir. Elle ne doutait pas, à vrai dire, de réussir à ras- sembler le financement nécessaire à un magni- fique ouvrage en allant montrer ces fruits et ces fleurs aux plus chics fleuristes parisiens. Elle mourut avant d’en avoir eu le temps, en 2016, au moment où ses travaux permettaient la redécou- verte d’une des plus extraordinaires savonneries du règne de Charles X, celle de Notre-Dame, mi- raculeusement épargnée par l’incendie de 2019. C’est une autre générosité qui s’est alors mise en place. Celle d’abord du Mobilier national qui a coédité l’ouvrage avec les Éditions Faton ; il a sorti de ses réserves ces monstres tissés de plusieurs tonnes et centaines demètres carrés, les a déroulés et les a photographiés, pour les extirper de l’oubli où ils étaient tombés. Celle ensuite de Jean-Pierre Samoyault, ancien ad- ministrateur général du Mobilier national, des manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie, qui a accepté de relire, de compléter et d’éditer le manuscrit de Chantal Coural, avec la même rigueur et le même dévouement que tous ceux qui ont œuvré, depuis sa création, à la prospérité et au renom d’une des plus prestigieusesmanufactures françaises. Ces somptueux tapis du pouvoir, chère lectrice, cher lecteur, sont aussi ceux, admirables, de la générosité désintéressée du savoir. Bonne lecture de votre numéro ! Détail du tapis pour le salon de réception du Premier maître d’hôtel du roi aux Tuileries, manufacture des Gobelins, ateliers de Savonnerie, sur le projet de Jacques-Louis de Saint-Ange, 1825. Paris, Mobilier national. © Isabelle Bideau / MN ÉDITORIAL

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