Extrait L'Objet d'Art

3 JUILLET-AOÛT 2020 L’OBJET D’ART A u zénith du solstice d’été, le 24 juin dernier, un esprit libre s’en est allé, un esprit des Lumières, un ami de La Fontaine, Diderot et Baudelaire. Marc Fumaroli, né le10 juin1932àMarseille, avait pas- sé son enfance et son adolescence à Fès, au Maroc. Agrégé de Lettres en 1958, il avait rapidement gravi les échelons d’une brillante carrière académique : pro- fesseur à la Sorbonne en 1985, professeur au Collège de France l’année suivante, élu à l’Académie française en 1996 (succédant, au fauteuil 6, à Eugène Ionesco), élu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1998 (au siège de Georges Duby). En 1996 aussi, il avait accepté la présidence de la Société des Amis du Louvre, qu’il avait assurée pen- dantvingtans.Ilyavaitnotammentcontribuéàdesac- quisitionsmajeures, une«exquise»feuilledeWatteau (qui le ravissait – six études de têtes féminines et de deux masculines), le portrait de Mademoiselle de Villeneuve de David (qui l’enchantait moins), la tapis- serie du dais de Charles VII, d’un éclat céleste et d’une sidérale beauté... À ces quelques exemples de l’abondantemanne, il faut ajouter des dons personnels –un portrait de cantatrice de Charles Coypel, deux Christ du début du XVII e siècle, une gravure de la Galerie d’Apollon la nuit, car Marc Fumaroli était aussi un généreux collectionneur. Dans ses nombreux ouvrages se lisaient ses amitiés littéraires (Montaigne, La Fontaine, Chateaubriand...), artistiques (Maurice Quen- La République des lettres en deuil tin de La Tour, Madame Vigée Le Brun...), son amour infini de la langue française, sa passion érudite pour les rapports entre le pouvoir, le monde des arts et la culture, dont l’aboutissement avait été, en 2009, Pa- ris New York et retour : voyage dans les arts et les images. Aux Éditions Faton, il avait publié en 2007 un magistral Peinture et pouvoirs aux XVII e et XVIII e siècles, de Rome à Paris. Il avait toujours pris le parti duPoète contre tous les ex- cès de l’absolutisme ; lesdiktatsd’unart contemporain perverti par la spéculation, le diktat du nivellement du savoir par le bas (lamarginalisation de l’enseignement du grec et du latin), le diktat d’un État omniprésent mais fourvoyé dans ses cibles et insoucieux de la dé- fense de l’excellence. Son goût des arts, expliquait-il dans l’entretien qu’il nous avait accordé en 2017 à l’occasion de l’expo- sition « Présence de la peinture en France 1974- 2016 1 », était né d’une épiphanie, celle d’un portrait féminin de Bronzino, rencontré à l’âge de 17 ans aux Offices de Florence. Depuis l’Italie était devenue sa seconde patrie. Dans cemême entretien, il déplorait vivement le scandale de l’absence d’agrégation d’histoire de l’art en France – et sa conséquence : la schizophrénie de la mémoire. Ce grave trouble psychotique qu’il n’avait cessé de dénoncer, en vision- naire presque, est la cause aujourd’hui du vandalisme de nos statues d’hommes illustres, de celle de Colbert (le fondateur en 1663 de la Petite Académie devenue l’Académie des inscriptions et belles lettres) et de la proposition de notre ancien Premier ministre de débaptiser, au Palais Bourbon, la salle portant son nom. On pourrait la renommer, à lamémoire de l’auteur de cette brillante idée et du baudet dévoré par les animaux malades de la peste, la salle de l’âne. Au zénith du solstice d’été, le 24 juin dernier, une page s’est tournée – mais des milliers restent à lire et à relire, celles de votre bien modeste Objet d’Art (assorti d’un guide numérique des expositions et des sorties de l’été, à télécharger), et celles, généreuses, brillantes, de l’œuvre de Marc Fumaroli, riche d’un iconoclasme salutaire contre les mauvaises herbes de la bien-pensance, que seules permettent la hauteur de l’esprit et l’érudition. 1 Exposition à la Mairie du V e arrondissement, Paris, cf. L’Objet d’Art n° 538, pp. 20-22. Jean Antoine Watteau (1684-1721), Six études de tête de femme et deux d’un jeune garçon , vers 1717. Trois crayons avec sanguine de plusieurs tons, traces de lavis de sanguine, gouache blanche et estompe sur papier crème, 22,5 x 34,8 cm. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Gérard Blot © Académie française ÉDITORIAL

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