Extrait L'Objet d'Art

1 JUIN 2020 L’OBJET D’ART Le 28 avril, Édouard Philippe, notre valeureux Premier ministre, an- nonçait le plan de déconfinement. Il y autorisait la réouverture, dès le 11mai, des « petits »musées. Aussi, pour cet éditorial, chère lectrice, cher lecteur, chers abonnés, nous avons bravé l’interdiction de déplace- ment à plus de 100 kilomètres et sommes allés interroger les muses, celles dont Hésiode fixa le nombre à neuf au VIII e siècle avant J.-C. Nous avionsévidemmentréviséleursnomsavantdenouslancerdansl’ascen- siondumont Parnasseet nousvous les citonsdoncfièrement enpréam- bule : Calliope, Clio, Érato, Euterpe, Melpomène, Polymnie, Terpsichore, Thalie et Uranie. À toutes, nous avons posé la même question : « Chères muses, femmes fortes et belles, qu’est-ce qu’un “petit” musée ? ». Les filles de Zeus et Mnémosyne réfléchirent. Clio, muse de l’Histoire, répondit : « Un petit musée, c’est un musée sans passé, ni mémoire ». Euterpe, muse de la Musique, dit : « Ou plutôt unmusée où il n’y aurait ni aulos ni instrument pour accompagner les chants mélodieux ? ». « Non, répondirent Thalie et Melpomène, muses de la Comédie et de la Tragédie, un petit musée serait unmusée où l’on ne porterait pas de masque ». « Et unmusée où les tourterelles se fuiraient, plus d’amour – partant, plus de joie ! » clamèrent en cœur Calliope et Érato, muses de la Poésie épique, lyrique et érotique. « Quelle idée ! s’exclama Polymnie la pompeuse, muse des Hymnes et de la Rhétorique, tous les musées sont des petits musées, sauf le Louvre où figure mon portrait par Vouet. » « Et que fais-tu de ceux qui conser vent des danseurs aux pieds légers ? » protesta Terpsichore la gracieuse, muse de la Danse. La sage Uranie, muse de l’Astronomie et de la Géométrie, prit alors la parole : « Mes sœurs, que la pomme de la discorde ne vienne pas une nouvelle fois trou- bler notre réunion. La grandeur ou lapetitessed’unmuséedépendent de son aire et de la rationalisation de sa surface culturelleen fonction de l’arpentage des visiteurs ». Enquête auprès des muses Depuis la fin du confinement, la liste des « petits » musées annon- çant leur réouverture s’allonge : le musée Condé à Chantilly, le musée Ingres-BourdelleàMontauban, lemuséeMatisseauCateau-Cambrésis... pour n’en citer que quelques-uns. Le premier Mouseîon était celui d’Alexandrie, construit en 280 avant J.-C. par Ptolémée I er Sôter : il abritait la célèbre bibliothèque et tout un cortège de savants et de philosophes. Ensuite le mot museum fut employé pour désigner les collections privées des princes italiens de la Renaissance, réservées à une élite sociale, intellectuelle et artistique. Sous l’influence des pen- seurs des Lumières, le concept du musée moderne et démocratique se développa : les premières grandes collections publiques s’ouvrirent. On était pourtant loin alors d’imaginer lesmégapoles culturelles qu’al- laient devenir certains de nos musées contemporains, comptant en centaines de milliers, voire en millions, l’augmentation du nombre de leurs visiteurs. Ces musées mastodontes sont aujourd’hui les plus pénalisés, à l’in- verse de ces « petits »musées qui rouvrent déjà. À taille humaine, loin des bousculades et desmêlées humaines, ils constituent un véritable patrimoine de proximité, un circuit court et facilement accessible à la culture dans toute sa diversité : des collections originales, des chefs- d’œuvre que l’on peut contempler sereinement, une histoire, un thème, un lieu attachants... La crise du Covid-19, une fois révolue, ne sonnera peut-être pas le glas d’une consommation de masse, mais aura été le temps de leur redécouverte. Chère lectrice, cher lecteur, chers abonnés, nous vous souhaitons une belle lecture de votre nouvel Objet d’Art – vous y trouverez, entre autres, un magnifique dos- sier consacré aux jardins remar- quables, « petits » et grands – à découvrir en sillonnant la France : bonne balade ! Potager fleuri du château de Saint-Jean-de-Beauregard. © Domaine de Saint-Jean-de-Beauregard ÉDITORIAL

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