Extrait L'Objet d'Art

4 L’OBJET D’ ART MARS 2020 PARIS LE MONDE ÉTRANGE DE NIELS HANSEN JACOBSEN Le musée Bourdelle poursuit une intelligente politique d’expositions, qui fait alterner les sujets consacrés à Antoine Bourdelle, à ses contemporains ou à des thématiques qui permettent de créer des passerelles avec d’autres domaines. Il revient aujourd’hui sur le séjour parisien de Niels Hansen Jacobsen, un artiste pour le moins étonnant. R ares sont ceux qui ont déjà entendu parler de Niels Hansen Jacobsen (1861-1941), ce sculpteur et céramiste danois qui séjourne à Paris entre 1892 et 1902 et évolue dans les milieux symbolistes. Le musée Bourdelle a donc décidé de lui consacrer une exposition– une première en France. À travers différentes thématiques et d’intéressantes confrontations entre son art et celui de ses contem- porains, on découvre un artiste fasciné par le rêve, l’étrangeté, voire le macabre, dont les œuvres entretiennent des liens indéniables avec la mythologie et le folklore nordiques. Un Danois à Paris Jacobsen séjourne à Paris à une époque où la ville est, avec Bruxelles, une capitale du symbolisme, un creuset où évoluent artistes, écrivains et musiciens de toute l’Europe. Il s’installe au 65 boulevard Arago, dans ce que l’on appelle aujourd’hui la Cité Fleurie. Dans « cette espèce de couvent artistique » se côtoient des artistes nordiques et nord- américains. Ils entretiennent également des liens avec leurs voisins français, qui se trouvent être des acteurs majeurs du symbolisme : le céramiste et collectionneur Paul Jeanneney, le sculpteur et céramiste Jean Carriès, l’illustrateur et affichiste Eugène Grasset. C’est dans ce climat d’émulation que Jacobsen développe son œuvre si particulier, à la croisée des chemins entre traditions nordiques, obsessions sym- bolistes et expérimentations techniques. Une « inquiétante étrangeté » Jacobsen s’intéresse à des sujets qui mêlent étroitement désir et mort, autour de la figure ambivalente de la femme, un thème récurrent du symbolisme et de l’Art nouveau. En 1901, il donne ainsi sa propre in- terprétation de La Petite Sirène d’Andersen. L’arabesque séduisante de la sculpture fait écho à La Naissance de Vénus d’Odilon Redon ou aux compositions abstraites de Jens Lund. Cet attachement aux formes ambiguës et hybrides, à la frontière entre la réalité et le rêve, se traduit aussi par un travail sur les masques : des êtres étranges, aux traits synthétiques et inquiétants, nous dévisagent depuis les cimaises. À la fin du XIX e siècle, Jacobsen est loin d’être le seul à se passionner pour cette forme d’art particulière, dont les expressions outrées doivent beaucoup auxmasques japonais du théâtre nô. Lesœuvres du Danois sont ainsi mises en regard de celles de Carriès, dont on ne sait s’il l’a rencontré au cours de sa vie, mais dont il connaissait certainement le travail. La figure de la Gorgone, à la fois menace mortelle et entité protectrice, réactualisée par les artistes de la fin du siècle, est sans doute celle qui synthétise le mieux les ambivalences véhiculées par les masques. Mais Jacobsen va plus loin encore : il cherche à donner forme aux entités les plus impalpables et évanescentes. En 1897, il réalise L’Ombre , spectaculaire figure en bronze elle aussi directement inspirée d’un conte d’Andersen. Cet être équivoque est à la fois un symbole ultime d’impermanence et la « signature du réel », puisque seul un corps tangible peut projeter une ombre. C’est aussi dans l’ombre que le rêve se transforme en cauchemar, en témoignent La Nuit de Victor Prouvé, dont la chevelure est peuplée de créatures in- quiétantes, ou le relief de Boleslas Biegas représentant Chopin assailli par des cauchemars hurlants. Ce penchant pour l’étrangeté dumonde va, chez Jacobsen, jusqu’à la réalisation de sculptures franchement macabres, comme La Mort et la Mère (1892), un groupe toujours ins- piré par Andersen. Le monde étrange et inquiétant de Jacobsen puise également ses sources dans le folklore Niels Hansen Jacobsen, L’Ombre , 1897. Bronze. Vejen, Vejen Kunstmuseum. Photo service de presse. © Pernille Klemp EXPOSITIONS

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