Extrait L'Objet d'Art

1 MARS 2020 L’OBJET D’ART C itoyennes, citoyens, lectrices et lecteurs de L’Objet d’Art , bien que vous soyez nombreux à nous lire en province et par-de- là les frontières de l’Hexagone, cet éditorial s’adresse plus spécialement aux habitants de la capitale, à ses visiteurs occasionnels et aux amoureux des pachydermes. Ils sont en effet particulièrement concernés par le projet de l’architecte PhilippeChiambaretta sur le« réenchantement desChamps-Élysées 1 ». Nonsansraison,cedernierdéplorequelacélèbrealléecrééeparLeNôtre, « l’un des kilomètres zéro de la modernité occidentale », dit-il, se soit transformée en un«hyper-lieu planétaire», proie, dans sa partie haute, des tensions de lamondialisation, et, dans sa partie basse, de « l’hyper- vide » que sont devenus ses jardins. Il faut donc ré-enchanter la plus belle avenue dumonde ; thématiser ses « territoires » par des parcours sportifs, ludiques, culturels, gastrono- miques (sans que le prix des repas proposés par les grands chefs dans les 26 « kiosques qualitatifs » ne dépasse les 12 € ) ; y augmenter les voies réservées aux piétons et aux «mobilités douces » (à savoir, vélos et trottinettes lancées à 30 km/heure) ; y créer des salons végétaux et contemporains... ou encore remplacer les pavés ancestraux par un joli revêtement zébré anti-bruit. Bref, en refaire un lieu de promenade champêtre et de guinguettes joyeuses où nul n’aurait besoin d’enfourcher son vélo par temps de grêle oud’affronter unRERcapricieux pour aller se divertir dans une foire aux jambons ouune fête àneuneuvoisine. Chacunpourrait rester bienchez soi – et entre soi. Il manque pourtant à ce lumineux projet rêvé par les penseurs du « kilomètre zéro de lamodernité occidentale », à ce sublime émerveillement que seraitunecapitaleaucœurtransforméenunvaste parc d’attraction parfaitement orchestré, un peu de fantaisie. Pourquoi, eneffet, nepasyconstruire l’éléphant qu’avait imaginé l’ingénieur Charles François Ribart de Chamoust, au milieu du XVIII e siècle,àl’emplacementdelafutureplacedel’Étoile, « un kiosque à la gloire du Roi », contenant en DES PROJETS ÉLÉPHANTESQUES POUR PARIS ! son ventre salles de bal et de spectacle, faisant jaillir de sa trompe une fontaine géante et abritant sous son front un orchestre au son amplifié par des oreilles haut-parleurs ? Louis XV le bienheureux snoba le projet. Napoléon le ressuscita à sa façon ; afin de remplacer l’Arc de triomphe qu’il projetait initialement d’édifier place de la Bastille, il décida en 1810 d’y construire une fon- taine éléphant avec la fonte des canons pris aux Espagnols insurgés. Lamaquette en plâtre d’après les dessins de l’architecte Jean Antoine Alavoine fut réalisée et entreposée dans un hangar voisin, puis finale- ment détruite après la chute de l’Empire. Il faudrait, bien sûr, si l’on réalisait le projet de Charles Ribart pour agré- menter l’hyper-plein du haut de l’Axemajeur, déplacer l’Arc de triomphe. Mais qu’importe ! Ce dernier pourrait être installé dans un endroitminé- ral, où aucun de ces arbres nuisibles à la perception de sa monumen- talité ne viendrait faire ombrage aux nobles maréchaux de l’Empire. Et aux animations évoquées autour de l’(ex)-Arc de triomphe (marché aux fleurs au printemps, patinoire l’hiver, plage l’été...), d’autres divertis- sements s’ajouteraient : des promenades à dos d’éléphant, justement, pour favoriser aussi lesmobilités lourdes, sans polluer l’espace sonore puisqu’on prendrait soin au préalable de revêtir leurs pieds délicats de petits chaussons et qu’ils glisseraient, tel le corps de ballet du Lac des Cygnes , sur l’exotique revê- tement anti-bruit zébré. Citoyennes, citoyens, chère lectrice, cher lec- teur, cette volonté très louable d’améliorer Paris, avançant sous des frondaisons bienpensantes et écoresponsables, cache en vérité un sournois dé- sir de détruire tout ce qui fait la majestueuse no- blessedenotrecapitale.Maislisezvotre Objetd’Art ! Vous y voyagerez au pays réellement enchanteur des joyaux de la Couronne, de la couleur retrouvée des ScènesdesmassacresdeScio deDelacroix ou de l’infinie délicatesse des dessins, particulière- ment à l’honneur au mois de mars ! Le projet de « kiosque à la gloire du Roi » de Charles François Ribart de Chamoust, publié en 1758. © akg-images 1 « Champs-Élysées, Histoire et perspectives », exposition au pavillon de l’Arsenal, Paris IV e , sur le réenchantement des Champs, jusqu'au 10 mai 2020. ÉDITORIAL

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