Extrait L'Objet d'Art

18 L’OBJET D’ART JANVIER 2020 LES ROSACES D’UN MUSICIEN Matéo Crémades ressuscite un savoir-faire oublié de la facture instrumentale. Dans son atelier de Touraine, il compose de délicates sculptures en dentelle de parchemin pour offrir une parure baroque au bois des luths, clavecins ou guitares anciennes. E ntre les mains des anges musiciens qui pro- lifèrent dans la statuaire de la fin du Moyen Âge, l’observateur attentif remarque des luths aux panses rebondies et aux béances délicatement ouvra- gées. Il ne s’agit pas d’une fantaisie d’artiste. À partir de cette époque, les instruments à cordes pincées voient leurs ouïes s’embellir de décors ajourés : « Les rosaces servaient de signature ». Luths, cistres, guitares, man- dolines, violes de gambe, clavecins... Les collections des musées témoignent de cette pratique qui connut son apogée au XVII e siècle avant de tomber en désuétude avec l’avènement d’une esthétique plus épurée. Adieu les fioritures baroques. Les maîtres luthiers suppriment tout ce qui complique la projection du son. Guitariste depuis l’adolescence, Matéo Crémades s’est passionné pour ces sculptures en parchemin, éblouis- santes de virtuosité. Il en a fait son métier en ouvrant un atelier dans sa maison des bords de Loire. Au commencement… une guitare baroque Point de hasard dans cette affaire. Le trentenaire est doté d’un par- cours complet en musicologie, effectué à l’Université de Tours. En parallèle, il a fréquenté le conservatoire municipal qui compte un important département de musique ancienne : « J’ai dû renoncer au théorbe faute de temps. Pascale Boquet, mon professeur, m’a alorsmis une guitare baroque entre les mains. Cela a été un coup de foudre ». En 2014, il décide de fabriquer son propre instrument, en autodidacte : « J’ai réaliséma première rosace en parchemin et je suis tombé amou- reux de cette matière que je ne connaissais pas ». Le parchemin est une peau d’animal qui n’est pas tannée mais trempée dans plusieurs bains de chaux. Souple et vivante, elle change en fonction des conditions hygrométriques : «La peau se racornit par temps sec, au contraire l’humidité la dilate. C’est un matériau qui a du répondant. Je choisis en général des peaux de chèvre à la texture prononcée ». Un travail d’orfèvre La découpe représente la plus longue étape de ce travail minutieux. Muni d’un scalpel, Matéo Crémades transforme son matériau en dentelle, respectant le plan qu’il a dessiné à l’encre et au compas. Des emporte-pièces permettent de per- forer les formes circulaires. L’atelier reproduit des rosaces présentes sur des instruments anciens : « Je vaisme documenter dans lesmusées. À partir de photos, je reconstitue la structure. S’agit-il d’une rosace plate ou d’une rosace à plusieurs niveaux ?Quels sont les motifs ? ». Les décors historiques s’inspirent volontiers de la grammaire gothique. Ils prennent un tour arabo-andalou sur certaines guitares, avec des étoiles complexes, ou bien celtique, notamment sur les cistres, au gré des entrelacs. « Les rosaces n’ont pas de fonction acoustique, juste ornementale. Nous pouvons imaginer qu’elles servaient à renforcer la table d’harmonie, cette partie essentielle de l’instrument fra- gilisée par le percement de l’ouïe, mais ce n’est qu’une hypothèse. » Les créations les plus élaborées se construisent sur plusieurs étages pour jouer des ombres et des profondeurs. Chaque niveau résulte d’un agrégat de feuilles superposées. La première donne la structure. Elle reste au-dessus. Les autres viennent par dessous ourler ce squelette et l’agrémenter d’ornements. Pour apporter un re- lief supplémentaire, l’artisan d’art rabat les bords. Ce léger chanfrein adoucit la sévérité de la découpe. Il confère une certaine rondeur au motif. Matéo Crémades aime jouer sur les contrastes : blanc, beige, ocre, turquoise... Certaines parties sont même dorées à la feuille, ajou- tant à la préciosité de l’objet. L’assemblage réunit les différents niveaux au moyen de parois verticales. Voici une architecture miniature, avec ses décors et ses volumes, ses ombres et ses lumières. © Photo Romain Guegan 2019 Rosace en parchemin (détail) à 6 niveaux copiée d’après la rosace d’une guitare anonyme italienne de 1620 conservée au Musée de la Musique à Paris. Parchemin de chèvre, parchemin teinté et parchemin doré à la feuille d’or 22 carats, D. 100 mm. Pièce primée au Concours des Ateliers d’Art de France catégorie patrimoine en 2019. Collection de l’artiste. © Matéo Crémades 2019 ARTS DÉCORATIFS D’AUJOURD’HUI

RkJQdWJsaXNoZXIy MTEzNjkz