Extrait L'Objet d'Art

1 JANVIER 2020 L’OBJET D’ART E lle a dépassé d’environ 22 936 ans l’âge pivot et reprend pour- tant du service : c’est la Vénus de Renancourt, qui vient d’être découverte par les archéologues dans une ZAC au nord-ouest d’Amiens. Avant d’être transformé en une zone d’aménagement concerté par l’ homo sapiens du XXI e siècle, le site a servi, à la fin de la dernière période glaciaire, de terrain de camping aux chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur ; ils l’auraient occupé à l’automne et les ves- tiges qu’ils ont laissés dans des limons éoliens, à 4mètres en dessous du niveau du sol actuel, ont été datés par carbone 14 de 23 000 ans. Parmi les artefacts retrouvés, des silex, des pointes de La Gravette, des couteaux,desgrattoirs,desrestesosseuxdefestindecheval,desparures... et des fragments de Vénus : le Gravettien (28 000 - 22 000) – du nomdu site de La Gravette en Dordogne – est en effet célèbre pour ses effigies féminines – les premières connues de l’histoire de l’humanité –, près de 250 retrouvées essentiellement en France, en Italie et en Europe de l’Est et du Nord, jusqu’en Sibérie. Toutes, ou presque, sont stéatopyges (développement exagéré des tissus adipeux des fesses) et arborent des seins et des hanches triomphantes, comme les Vénus de Willendorf et de Lespugue ; leur visage est repré- senté sans trait, leurs jambes et leurs bras à peine esquissés ; un quadrillage parfois figure leur coiffure, à l’exemple de la Dame de Brassempouy ou de la Vénus de Renancourt. PAS DE RETRAITE POUR LES VÉNUS ! On ignore leur fonction exacte – symboles archaïques de la Terremère, icônes de la fécondité ? Quelques millénaires plus tard, par le raffine- ment de la forme que leur donnera un sculpteur devenu praxitélien, elles se transformeront en déesses de l’amour affectées etmaniérées, anadyomènes et callipyges, s’encombrant d’une pomme, d’un dauphin ou d’un amour, perdant ainsi en émotion puissante ce qu’elles gagne- ront en élégance et en légèreté. La Vénus de Renancourt, l’une des premières de l’histoire de l’art donc, taillée dans la craie, a été extirpée en trois morceaux de son sommeil éternel le dernier jour de la fouille préventive, dans le dernier mètre carré fouillé et dans les derniers coups de truelles donnés. Née avant 1975, elle n’aurait évidemment pas bénéficié de l’hypothé- tique amélioration des retraites féminines annoncée par un gouverne- ment à la fois technocratique et flou, peu doué dans l’art de la commu- nication ; de maternité en maternité, elle aurait certainement eu une pension bienmoindre que celles de ses chasseurs-cueilleurs demaris. Mais désormais, du haut de ses 4 centimètres recollés, elle toise les millénaires et une France passionnée d’égalité, où paradoxalement chacun est âpre à défendre ses privilèges d’un autre âge – qu’on pour- rait péjorativement qualifier de préhistorique, si l’on ne connaissait pas la force de ces Vénus gravettiennes et de cet art des premiers temps de l’humanité ! Chère lectrice, cher lecteur, la nouvelle année est là, que nous vous souhaitons bonne et heureuse – riche en belles découvertes, comme celles que vous pourrez faire en lisant votre nouvel Objet d’Art , et en émerveillements venus de tous les âges... Vénus provenant du site de Renancourt. © Stéphane Lancelot, Inrap « Chacun a remarqué que, de notre temps, et spécialement en France, cette passion de l’égalité prenait chaque jour une place plus grande dans le cœur humain [...] » Alexis de Tocqueville ÉDITORIAL

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