Extrait L'Objet d'Art

62 L’OBJET D’ART DÉCEMBRE 2019 (1832-1904) 2 qui mène des recherches sur les émaux à coloration translucide. Les leçons se déroulent à Yerres dans la maison de cam- pagne du père de Marie-Thérèse Anquetil qu’il a épousée en avril 1858. Lucien Falize rapporte : « la passion de l’émail possède l’artiste, il com- pose ses dessins, il broie ses couleurs, il charge ses plaques lui-même, les porte au feu [...] rien ne l’enchante plus que de sortir de la moufle [NDLR four] une plaque [...] ». La formation est rapide puisque le peintre présente, en 1863, une douzaine de plaques dans l’exposition organisée par l’Union centrale des arts décoratifs. Des profils de célébrités (Hercule d’Este, Renée de France, Anne de Hongrie, etc.) décorent une bibliothèque et un cabinet de l’ébéniste Jean-Paul Mazaroz (1823-1900). Lamanifestationmarque les débuts de l’émailleur et sa rupture avec Meyer 3 . Membre du jury, Dardenne de la Grangerie revendique pour son ami l’honneur d’avoir renoué avec l’art limousin, omettant de citer Meyer. Burty prend aussi parti pour Popelin, témoignant du succès de ses émaux : « Ils furent fort remarqués [...] c’est de ce moment que date la renaissance de l’émail. M. Popelin n’a ni inventé, ni remis en pratique à nouveau un art que, notamment, les orfèvresn’avaient cessédepratiquer,mais il lui a ouvert des champs plus vastes en appelant l’artiste à seconder l’artisan [...] 4 ». En effet, il n’est pas le premier à s’être aventuré dans la réalisation d’émaux peints à lamanière de Limoges. L’originalité de sa technique – à laquelle l’a assurément initié Meyer – réside dans l’habile utilisation des émaux translucides de couleur, soit sur une surface d’émail blanc, soit sur des paillons d’or. À cette époque, la situation du peintre est difficile. En échange de sa résidence près du parcMonceau dont il est exproprié, il reçoit un terrain bordant la rue de Téhéran sur lequel il fait bâtir une maison entourée d’un jardin 5 . Il y demeure jusqu’à son décès, seul avec son fils Gustave (1859-1937) après la mort de Marie-Thérèse en 1869. Les difficultés financières incitent le peintre à redoubler d’ardeur au travail. Les succès dans les salons artistiques du Second-Empire Outre un portrait de Pic de la Mirandole, conservé au Musée de Arts Décoratifs de Paris, Popelin présente au Salon de 1864 une figure équestre de Jules César dans un cadre d’ébène. La plaque surprend par l’emploi des émaux translucides aux couleurs vives sur des paillons. Falize décrit l’œuvre : sur un ciel qui peut apparaître « trop nua- geux, trop tourmenté, trop bleu [...] Le cheval est blanc, César est habillé d’une cuirasse d’un bleu verdissant, il est enveloppé d’un manteau de pourpre, les chairs sont modelées en blanc et à peine rosées, il y a des accessoires nombreux : une ville dont les édifices et les murailles sont détaillés en or, s’étale dans le lointain, un fleuve aux eaux bleues la sépare des premiers plans, un phylactère au ton de saphir s’enroule sous les pieds du cheval et porte en lettres d’or le fameux Veni , vidi , vici 6 ». Ce succès de curiosité est suivi de la commande d’un portrait de Napoléon III par le duc de Persigny. La carrière de l’artiste est lancée. Popelin persévère dans le choix de sujets historiques et allégo- riques qui célèbrent les progrès de la civilisation. Soignant la rhé- torique de son discours, il agence des motifs complémentaires, autour de la figure principale, dans des cadres qu’il commande sur ses dessins à « quelque ébéniste ». Vivement colorées, ses plaques ressortent dans des édicules en bois noirci à pilastres et fronton, à la manière des portraits de Léonard Limosin auquel il voue une immense admiration. Passionné par l’art calligraphique et celui des devises, il ajoute des inscriptions peintes en or sur des banderoles. Au salon de 1865, l’émailleur présente deuxœuvres qui lui valent une médaille. Son buste à l’antique de Napoléon III entouré de violettes, emblématiques des bonapartistes, est accompagné des profils de Clovis, Charlemagne, Hugues Capet et Napoléon I er . Des inscriptions latines en or célèbrent le nouvel empereur et ses vertus (GENEROSITAS/FORTITUDO/ SAPIENTIA/JUSTITIA). L’écu aux armes des Fialin de Persigny surmonte la devise JE SERS, rappe- lant que l’œuvre appartient au duc de Persigny 7 . L’autre composi- tion, La Renaissance des lettres , réunit des portraits de savants, poètes, philosophes du XVI e siècle autour d’une allégorie de la Renaissance. L’émailleur a utilisé des portraits gravés de l’édition parue à Bâle, en 1577, des Elogia doctorumvirorum de Paul Jove. Un critique note : c’est « un noble travail qui satisfait à la fois le regard par son aspect décoratif, et l’esprit par sa signification morale ». L’œuvre de grand format carré (92 cm de côté), pré- sentée à l’Exposition universelle de 1867, est achetée par Louis Portrait de François I er en déité composite , signé « Claudius Popelin », vers 1865. Émail en grisaille, émaux translucides de couleur. Limoges, musée des Beaux-Arts. ©musée des Beaux-Arts de Limoges, F. Magnoux Fervent admirateur du roi, Popelin l’a représenté avec des attributs de Minerve, Mars, Diane, Mercure, Cupidon d’après une enluminure de la BnF (Rés. Na 255), accompagnée d’un huitain également reproduit. Notons que l’émailleur a choisi du bleu et du violet pour le vêtement du roi plutôt que du rouge et du gris.

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