Extrait L'Objet d'Art

1 OCTOBRE 2019 L’OBJET D’ART C' était à la Biennale Paris l’un des rares stands qui méritait un détour, le stand B16, celui du galeriste Claude Bernard. On y voyait présenté un hommage à Sam Szafran. L’artiste, né en 1934, rescapé d’une enfance martyre et des rafles de la Seconde Guerre mondiale, débute dans les années 1950 une carrière d’autodidacte, sous l’aile protectrice d’AlbertoGiacometti et de Jean-Paul Riopelle, marquée très vite par une volte-face : le refus de la voie alors royale de l’abstraction, dans laquelle il s’était pourtant s’engagé. Le manque de moyens financiers pour acheter de l’huile, le sentiment d’êtredansune impasse, le conduisent à travailler le fusainet l’aquarelle, puis lepastel, et àcommencer lesgrandes«séquences»(il n’aimait pas lemot série) qui vont scander sonœuvre : les choux, l’atelier, l’imprimerie Bellini, l’escalier, les plantes, les vues urbaines distordues. Il travaillait et vivait depuis 1974 àMalakoff. Quiconque poussait la porte de ce qui paraissait n’être qu’une modeste maison ouvrière ne pouvait imaginer ce qui l’attendait à l’intérieur : unmacrocosme dans unmicro- cosme, une ancienne fonderie transformée en un atelier anarchique, un spectre de pastels, une jungle de feuilles, celles de ses aquarelles et de ses dessins, celles de philodendrons devenus géants. L’ULTIME FUGUE DE SAM SZAFRAN Cette plante aux feuilles dentelées, il l’avait découverte, racontait-il, un été que ZaoWou-Ki lui avait prêté son atelier. Il n’avait pu rester dans cet espace immaculé – « Je ne peux travailler que dans le chaos 1 » –mais en était reparti avec un défi, réussir à dessiner le philodendron qui s’y trouvait et qui résistait à ses crayons. SamSzafranavait depuisdémultiplié lemotif demanièreobsessionnelle, dans cetœuvre vertigineux que l’on pouvait une fois de plus admirer sur le stand de la galerie Claude Bernard : vertige du vide de ses cages d’es- calier tournoyantes, vertige d’un foisonnement végétal répété à l’infini où trône toujours Lilette, sa femme, son point d’ancrage, son icône au peignoir d’ikat (un procédé particulier d’impression hérité d’une tech- nique orientale de teinture et de tissage), hiératiquemise en abîme d’un univers marqué par l’influence de Giacometti, le changement d’échelle, le passage du petit vers le grand. SamSzafranétait expert dans l’art de la fugue, du contrepoint et de la va- riation savante dumotif, de la fuite salvatrice dans une vie d’écorché vif. «Jenesuispas français, jesuisparisien», déclarait-t-il aussi dans lefilm que lui avait consacré laFondationGianaddaà l’occasionde l’inauguration du Pavillon Sam Szafran. « Je milite pour l’autono- mie de Paris – c’est unmonde à part. » SamSzafran est mort le 14 septembre, pendant la rétrospective présentée à laBiennale Paris. Avec sonultime fugue disparaît le dernier représentant du Montparnasse bohème de l’après-guerre et un immense artiste, immensément modeste et fier aussi, à l’opposé de bien des vains narcissismes de l’art contemporain. Sam Szafran, Sans titre . Aquarelle et pastel sur carton, 99,5 x 139,5 cm. © Adagp, Paris 2019 Le dernier tableau de Sam Szafran, resté inachevé, présenté sur le stand de la galerie Claude Bernard à la Biennale Paris. 1. Cf. L’Objet d’Art n° 488, "Sam Szafran, le miracle de l'avatar", p. 46. ÉDITORIAL

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