Extrait L'Objet d'Art

68 L’OBJET D’ART SEPTEMBRE 2019 « UN FOND COULEUR DE ROSE TRÈS FRAIS ET FORT AGRÉABLE » Dans les registres de vente de la Manufacture royale, l’achat des deux vases par Louis XV en décembre 1758 est ainsi mentionné : « Vente au comptant faite à Versailles / Au Roy / 2 Vazes à Rocailles Rubans Rozes 360 -720 [livres] 1 ». Le fond rose, qui comportait du chlorure d’or, fut mis au point en 1757 par le peintre Philippe Xhrouet père (1725-1775), après le déménage- ment de la Manufacture royale de Vincennes à Sèvres. L’artiste reçut à ce titre en 1758 une gratification de 150 livres pour avoir inventé « un fond couleur de rose très frais et fort agréable 2 ». Le fond rose était d’un usage complexe car, comme le bleu céleste mis au point par Jean Hellot en 1753, il ne pouvait être posé sur la por- celaine que par saupoudrage à travers un tamis sur un mordant 3 . Des pièces à fond rose furent vendues pour la première fois en décembre 1758, à Versailles. Cette nouvelle couleur fut d’abord dénommée « rose » dans les registres de vente de la Manufacture. Dès 1760, elle fut dite « lilas » dans les documents, sans doute parce qu’elle se rapprochait du mauve. DES ACHATS PAR DIVERS MEMBRES DE LA FAMILLE ROYALE Lors de l’exposition de Versailles en décembre 1758, plu- sieurs membres de la famille royale furent séduits par des pièces ornées de ce fond qui constituait la grande nouveauté de l’année et qui, semble-t-il remporta un grand succès. Madame Infante acquit ainsi un bougeoir à fond rose pour 60 livres. Ses sœurs, Victoire, Sophie et Louise, achetèrent lemême jour des déjeuners carré et triangleà fond rosepour les sommes respectivesde144 et 300 livres. Le Roi acquit lui-même six autres pièces à fond rose, notamment deux vases « à oreilles » à ru- bans roses pour la somme totale de 720 livres ainsi que deux pots à l’eau accompagnés de leurs jattes. Enfin, des princes du sang achetèrent également des pièces à fond rose, notamment le duc d’Orléans (1725-1775) et le prince de Condé (1736-1818). Ce dernier acquit en particulier une célèbre garniture de cinq vases à fond rose, d’une forme exceptionnelle, dispersée à l’époque révolutionnaire mais encore connue aujourd’hui. L’ensemble était composé d’un pot-pourri « à vaisseau », de deux vases candélabres « à tête d’éléphant », conservés au Metropo- litan Museum of Art, à New York, et de deux vases « à oreilles », aujourd’hui aumusée du Louvre 4 . Le prince de Condé avait acheté cette somptueuse garniture à l’intention de sa première épouse, Char- lotte-Godefride-Elisabeth de Rohan (1737-1760). En effet, l’ensemble est bien décrit en 1760, au n° 133, dans l’inventaire dressé en l’hôtel de la rue de Condé après la mort de la princesse : « Item une garniture de cheminée composée de cinq pièces, la première un vase en forme de vaisseau à cartouche, deux autres vazes aussy à cartouches et deux autres a deux bobèches chacune et peints enmosaïque et fleurs, le tout de porcelaine de Sèvres, fond lilas, le tout prisé Mille livres 5 ». Pot-pourri « à vaisseau », Manufacture de Sèvres, 1757-1758. Porcelaine tendre, 44,8 x 37,5 x 19,4 cm. New York, Metropolitan Museum of Art, ancienne collection de la princesse de Condé. © DR DÉCORATIFS ARTS

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