Extrait L'Objet d'Art
35 MAI 2019 L’OBJET D’ART fatalité, ces incendies sont hélas trop fréquents dans les monuments historiques. Celui de Notre-Dame s’inscrit même dans une longue liste de monuments qui montre une fâcheuse tendance à s’allonger. En 1972, on se souvient qu’un grave incendie avait ravagé la charpente de la cathédrale de Nantes, également lors d’un chantier de restaura- tion, amenant les pouvoirs publics à ne plus laisser les visiteurs accé- der à ces lieux fragiles et hautement combustibles. Plus près de nous, citons le Parlement de Rennes (1994), le palais de Chaillot (1997), l’hôtel de Matignon (2001), le château de Lunéville (2003), le logis royal d’Angers (2009), l’hôtel Lambert et l’Hôtel de ville de La Rochelle (2013), l’église Saint-Donatien de Nantes (2015) et Saint-Sulpice il y a un mois et demi... Il faudrait y ajouter une autre série moins média- tique : les départs de feu arrêtés in extremis , comme à l’Opéra royal de Versailles il y a dix ans, ou à la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu, par deux fois ces derniers temps... Ces drames ne sont pas d’origine criminelle (excepté celui du siège historique du Crédit lyonnais, une affaire mal élucidée), ni provoqués par les éléments, comme la foudre, ils ont pour cause deux facteurs : soit une négligence humaine, liée aux chantiers de restauration en cours ; soit une défaillance technique, provenant des réseaux équipant l’édifice (électriques, comme à Lunéville, ou de climatisation, comme à Rio...). Hubris Inévitablement, notre triste époque s’est projetée sur l’édifice et son malheur avec ses tics et ses tares. Tempête d’images en boucle, infox diverses (le complot), propositions loufoques (les canadairs !) et ba- vardage médiatique sont le lot commun de ce genre de tragédies, où l’on cesse de penser collectivement. Si l’on considère l’état sanitaire de notre patrimoine, il y avait un peu de comédie – on ne se refait pas – chez tous les politiques qui ont défilé devant l’édifice la main sur le cœur, tandis qu’on n’a pas cessé depuis bientôt quinze ans de chicailler sur les budgets des monuments historiques, et de négliger les bienfaits de l’entretien courant et des mises aux normes, pour- tant si nécessaires. On aurait peut-être dû, d’abord, reconnaître que nous n’avons pas été capables de sauver Notre-Dame, non pas après le départ du feu, car les pompiers ont fait un miracle, mais bien avant. Avant l’étincelle fatale et dérisoire. Plus inquiétant encore, alors que les fumées étaient à peine dissi- pées, le président de la République a annoncé que le chantier durerait « cinq ans » et que la cathédrale serait « rebâtie » ( sic ) « encore plus belle » (re- sic ) ! L’erreur sémantique le dispute ici au péché d’orgueil. Cet avis aussi pittoresque sur le fond que démagogique sur la formeest troublant, car il n’a pas de sens, sinon à considérer que les Jeux olym- piques de 2024, dans cinq ans (on avait bien compris) sont un des éléments clefs du dossier... Est-ce digne du chef de l’État ? L’heure est d’abord au bilan, il faut absolument laisser le temps aux expertises et ensuite à la réflexion, soigner et conforter avant de commencer à refaire. En somme, ne pas se précipiter pour commettre – le risque existe – d’autres erreurs. Quelques heures plus tard, dans une surenchère pathétique, était an- noncé le lancement d’un concours international pour la reconstruction de la flèche ! Comment penser ces questions complexes de déonto- logie de la restauration dans cette urgence brouillonne, alors que les pompiers sécurisent encore l’édifice et qu’on ignore la profondeur des blessures infligées au corps martyr du grand vaisseau ? En décidant sans aucune concertation, ni consultation, d’un point aussi crucial, le pouvoir montre qu’il ne sort pas de sa logique de verticalité, dans un troublant mélange de rouerie et d’immaturité. Notre-Dame mérite mieux. Elle a besoin d’amour et d’humilité. n La cathédrale de Nantes a été dévastée par un incendie en 1972. © DR
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