Extrait L'Objet d'Art n°555

2 L’OBJET D’ART AVRIL 2019 PAYS-BAS L’INTÉGRALE DE REMBRANDT Pour célébrer les 350 ans de la mort de l’artiste, le Rijksmuseum à Amsterdam expose la totalité de ses vingt-deux peintures, soixante de ses dessins et trois cents de ses gravures. Un beau rendez-vous avec le génie du Siècle d’or, mais pour lequel le musée n’a pas vraiment daigné éditer un catalogue digne de ce nom. Qu ’ aurait dit le Rembrandt en saint Paul, un de ses magistraux auto- portraits, peint à l’âge de 55 ans, le seul où il se mette en scène sous les traits d’une fi- gure biblique, en voyant l’exposition que lui consacre le Rijksmuseum 350 ans après sa mort ? Que la versatile Amsterdam a réussi, pour ce 350 e anniversaire, à lui rendre un bel hommage malgré plusieurs décennies d’oubli ? L’apôtre déchu Ce Rembrandt en saint Paul au regard songeur accueille le visiteur dans la première salle de l’exposition consa- crée à ses autoportraits. L’artiste le peint huit ans avant sa mort. La chance a alors tourné pour le vieux maître. Coqueluche du tout-Amsterdam à son arrivée de Leyde au début des années 1630, portraitiste que les riches bourgeois au col de dentelle empesée et les femmes parées de perles nacrées s’arrachent, il est à l’apogée de sa gloire quand il peint La Ronde de nuit en 1642. Mais cettemême année marque le début d’une série de malheurs bien connus : Saskia meurt juste avant son trentième anniversaire ; la relation scandaleuse qu’il entretient avec sa servante Geertje Dircx, puis avec Hendrickje Stoffels, le met au ban de la bonne société amstellodamoise ; la dimi- nution de ses commandes et ses goûts dispendieux de collectionneur entraînent sa banqueroute ; puis de nouveaux deuils (ceux d’Hendrickje et de Titus) assombrissent encore ses dernières années tandis que les dettes s’accumulent... Ingrate Amsterdam Amsterdam, qui avait porté aux nues son génie du Siècle d’or avant de l’ostraciser, mettra longtemps à se réconcilier officiellement avec lui. Au XIX e siècle, le Rijksmuseum se porte acquéreur de deux œuvres seulement données aumaître : Salomé recevant la tête de saint Jean- Baptiste et le Buste d’un vieil homme au gorget , qui s’avéreront ensuite être de l’entourage du maître pour la première et, pour la seconde, une copie. Ce n’est que par dépôt que ses premiers tableaux authentiques – La Ronde de nuit , La Fiancée juive , Le Syndic des drapiers et le Portrait deMaria Trip – entrent alors dans ses collections : lemusée laisse partir pour l’étranger les chefs-d’œuvre conservés enmains privées et ne juge pas bon, par exemple, d’acquérir les portraits de Marten Soolmans et Oopjen Coppit (cf. L’Objet d’Art n° 544, p. 74) – les seuls en pied connus de l’artiste –, vendus en 1878 au baron Gustave de Rothschild pour la somme de 800 000 florins... Dans le domaine des dessins, il fait preuve de la même négligence et du même peu d’empressement. Un directeur à la rescousse de l’artiste négligé Comme l’explique Jonathan Bikker, dans le chapitre introductif de Rembrandt Biography of a Rebel qui accompagne l’exposition, il faut attendre les efforts patients desmembres de l’Association Rembrandt pour que le Rijksmuseum achète en 1900 son premier « vrai » ta- bleau du maître, le remarquable Paysage avec un pont de pierre de 1638, puis le long combat du nouveau directeur du musée, Frederik Schmidt-Degener. Ce dernier, nommé en 1921, exaspéré par l’indiffé- rence desmusées et des autorités néerlandaises, réussit en vingt ans à faire doubler le nombre de peintures, qui devait ensuite continuer à s’accroître, jusqu’à l’acquisition en 2015, sous forme de garde alternée avec le Louvre, des deux portraits manqués en 1878. L’éblouissement des estampes et des dessins Au contraire des peintures et des dessins, l’extraordinaire ensemble d’estampes du Rijksmuseumse forma très tôt grâce à l’achat par Louis Bonaparte, roi deHollande en1806, d’un exceptionnel noyau provenant directement de Jan Six, l’ami de Rembrandt. Le legs du collectionneur Isaac de Bruijn et de sa femme Johanna Geertruida van de Leeuw (où figurait Rembrandt en saint Paul) vint encore l’enrichir avec des tirages rares dans la seconde moitié du XX e siècle. Plus que la réunion des Le Paysage avec un pont de pierre de 1638 est la première œuvre achetée par le musée en 1900. À cette époque, le Rijksmuseum ne compte que quatre peintures de Rembrandt authentiques. Huile sur bois, 29,5 x 42,5 cm. Photo service de presse. © Rijksmuseum, Amsterdam EXPOSITIONS

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