Extrait L'Objet d'Art

1 MARS 2019 L’OBJET D’ART L ’ ancêtredugiletestlavestequesousLouisXIVonportaitsous un justaucorps pourvu d’amples basques et de précieuses poches. Au fur et àmesure que les basques du justaucorps devinrent moins amples, la veste se raccourcit et finit par perdre ses manches : ainsi naquit à la fin du XVIII e cet indispensable du costume trois pièces que Louis XVI baptisa « gilet ». Son étymologie, nous ap- prend le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, dérive à la fois du turc yelek , « camisole sansmanche », dumaghrébin galika , « camisole portée par les esclaves chrétiens dans les galères » et se retrouve dans le sicilien gileccu , l’espagnol gilecco , le portugais jaleco ... Son histoire ne s’arrête pas aux fleurettes brodées sur les gilets des élégants du XVIII e siècle. Dès le XIX e , il devint signe distinctif – que l’on songe au gilet rouge de la bataille d’Hernani – puis se doubla d’un vêtement utilitaire, fonctionnel, bourré de poches diverses : le gilet tactique. C’est ainsi qu’Amazon – en propose plus d’une dizaine de modèles destinés pour la plupart aux commandos d’attaque, mais nous y avons repéré un gilet tactique pour chien de chasse et un gilet tactique Enfant 38 pièces pour «nerf Guns » avec cartouches de balles et fléchettes que, naïvement, nous avions prises au premier coup d’œil pour des crayons de couleurs. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Il faut toutefois accorder au géant peu scrupuleux duWeb un bon point : il ne propose pas de gilet jaune tactique. C’est un vrai bon point. Car ce gilet jaune tactique, arboré par certains Gilets jaunes et équipé – selon les modèles – de poches à pavés ou boules de pétanque pour casser des forces de l’ordre, bombes à taguer des insanités et chape- lets d’insultes antisémites, c’est le gilet de la honte. Honte des injures haineuses lancées en pleine rue au philosophe Alain Finkielkraut. Honte des portraits de Simone Veil peints par l’artiste C215 sur des boîtes aux lettres du XIII e arrondissement à Paris, maculés de croix gammées. Honte du boulevard au nom de la femme d’État et dont les plaques, à Dinan en Bretagne, ont été vandalisées pour la troisième fois en quelques semaines. Honte des cimetières profanés, et des arbres plantés à la mémoire d’Ilan Halimi et sciés. Honte d’une France au climat délétère, empêtrée dans ses contradic- tions, impuissante à empêcher uneminorité désinhibée de clamer haut et fort sa haine des Juifs – éternels boucs émissaires d’une société qui déraille et semble vouloir reproduire l’Histoire au lieu d’en tirer les leçons. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Chère lectrice, cher lecteur, nous dédions ce numéro aux jaunes éclatants de Chagall et à tous les porteurs de valeurs lumineuses, humanistes et élévatrices de l’âme. Marc Chagall (1887-1985), La Danse , 1950. Huile sur toile, 238 x 176 cm. Nice, musée national Marc Chagall. © RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Gérard Blot © Adagp, Paris 2019 ÉDITORIAL

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