Extrait L'Objet d'Art

PARIS ÂMES SAUVAGES : LES BELLES SURPRISES DES PAYS BALTES Le musée d’Orsay présente les œuvres d’une quarantaine d’artistes baltes, acteurs méconnus du mouvement symboliste entre les années 1890 et les années 1920-1930. Une production profondément originale qui mêle la féérie et la mélancolie. La gageure de cette exposition sera sans doute de convaincre le public de venir aumusée d’Orsay se risquer en terra incognita , selon lesmots du commissaire Rodolphe Rapetti. Larguant les amarres des signa- tures familières, le visiteur qui éprouvera une curiosité d’explorateur quittera les lueurs rassurantes des grands phares de l’histoire de l’art pour aborder d’autres rivages de la création européenne, dans cette période charnière que constituent la fin du XIX e siècle et le début du XX e siècle. Il ne sera pas déçu du voyage. Les œuvres parlent d’elles- mêmes. Elles séduisent par leur présence, leur puissance expressive et leur intensité dramatique, tenant la comparaison avec les plus grands chefs-d’œuvre de la période. Rien n’est anodin. Les portraits se révèlent poignants, d’une beauté inquiète. Les paysages traduisent les émotions de l’âme dans un rapport mystique à la nature. Assurément original, l’imaginaire qui se déploie ici puise dans les répertoires popu- laires locaux pour parer lesmythologies païennes des ornements de la Belle Époque. Une teinte pastel, entre le gris et le violet poudré, revient comme la brume d’un rêve : « C’est la couleur de la mélancolie », af- firme Rodolphe Rapetti. Elle évoque les lumières sourdes du long hiver nordique. Par contraste, le plein soleil du solstice d’été vient sublimer la réalité dans des œuvres jubilatoires qui diffractent le cosmos en ses composantes élémentaires : l’eau, le rocher, la forêt... Les visions oscillent entre la féérie et le cauchemar, avec par moments l’affirma- tion d’une souffrance aiguë. Les formes hybrides du symbolisme rencontrent les audaces de l’avant-garde. Elles offrent des langages novateurs à ces artistes des périphéries, souvent aux frontières de l’abstraction. Des artistes voyageurs Loin de nos références françaises, le foyer balte commence à s’affirmer dans les années 1880 au sein des sphères russes et germaniques. Comme la région appartient à l’immense Empire des tsars, la plupart des jeunes talents partent étu- dier dans la capitale, à Saint-Pétersbourg, soit à l’Académie des beaux-arts, soit à l’École Stieglitz, réputée plus accessible. Là-bas, ils fréquentent des groupes issus du mouvement des Ambulants ou de Mir iskousstva , à l’aube du XX e siècle, ils dé- couvrent aussi les idées révolutionnaires et les ballets de Diaghilev. Ensuite, ils voyagent à travers l’Europe, complétant leur formation en Allemagne, ce qui explique l’influence de Böcklin, en Autriche-Hongrie, en Suisse et en Italie pour les plus chanceux. Paris ne vient qu’à la fin du pé- riple pour se frotter aux expérimentations de l’avant-garde. Certaines toiles reprennent le langage de Van Gogh tandis que des sculptures s’inspirent de Rodin. La Scandinavie constitue un autre pôle important avec les paysages accidentés de Norvège, très appréciés de l’Estonien Konrad Mägi, et la figure du grand Gallen Kallela qui signe le décor du pavillon finlandais à l’Exposition universelle de 1900. Toute une génération, née entre 1865 et 1895, suit ce parcours initiatique que chacun construit à sa façon en fonction des opportunités et des aléas géopolitiques. Cette floraison symboliste perdurera jusque dans les an- nées 1930. Elle accompagne le mouvement d’éveil des nations qui se fait jour sur lamême période, suscitant de façon inespérée la première indépendance de la Lituanie, de la Lettonie et de l’Estonie en 1918. La Seconde Guerre mondiale mettra un terme brutal à cette aventure avec l’occupation nazie puis l’annexion soviétique. Les artistes sym- bolistes baltes sombrent alors dans l’oubli. Vilhelms Purv ī tis, Hiver , vers 1908. Huile sur carton, 71,3 x 101,8 cm. Riga, musée national des Beaux-Arts de Lettonie. Photo service de presse.©Normunds Brasli ņ š Mikalojus 4 L’OBJET D’ART MAI 2018 EXPOSITIONS