Extrait L'Objet d'Art

FATH ‘ALI SHAH : LA MISE EN SCÈNE DU POUVOIR S’il est un cliché qui s’effondre dès les premières salles de l’exposition, c’est bien le caractère « abâtardi » de l’art qajar, son aspect prétendument « grossier » et pas assez « islamique ». L’une des révélations offertes au regard du visiteur réside ainsi dans ces magnifiques portraits impériaux qui véhiculent, plus que tout long discours, la grandeur et les fastes de la dynastie qajare. Dès les premières années de leur règne, les shahs vont en effet très vite pressentir le rôle de l’image, et du portrait en particulier, comme instrument de propa- gande et comme vecteur de stabilité. À la différence des Safavides, leurs illustres prédécesseurs, les sou- verains qajars ne peuvent en effet se targuer d’une as- cendance religieuse, et encore moins d’une légitimité politique. Issus d’une tribu d’origine turco-mongole du Nord de l’Iran, ils tentent ainsi de faire oublier à leurs sujets que le fondateur de leur dynastie, le grand Aqa Muhammad Shah (1742-1797), a pris le pouvoir par la force et s’est débarrassé de tous ses rivaux pour régner sur l’ensemble du royaume. Privé de descendance car castré à l’âge de 7 ans par les ennemis de sa tribu, ce redoutable stratège et visionnaire à bien des égards mourra cependant de façon violente : il sera assassiné en 1797. Cela n’empêchera pas la lignée qajare de pour- suivre son ascension puisque c’est le propre ne- veu d’Aqa Muhammad Shah, le futur Fath ‘Ali Shah (1772-1834), qui héritera d’un royaume relativement pacifié et doté de règles de succession propres à garantir sa prospérité et sa stabilité. C’est précisément sous le règne de ce souverain extrêmement fin et éclairé que la civilisation qajare va connaître son premier épanouis- sement artistique. Ce formidable mécène des arts et de l’architecture va en effet codifier le canon et les symboles liés à la représentation im- périale et élaborer une étiquette et un cérémonial de cour dignes de rivaliser avec ceux orchestrés par Louis XIV à Versailles ! Au sein de son palais du Golestan (dont le nom, qui signifie « jar- din de roses », a inspiré le titre de l’exposition), les pa- rures atteignent un raffinement incomparable, comme cette couronne et ces diamants portés en brassards, précieux régalia désormais conservés au musée des bijoux de Téhéran. Mais c’est davantage encore la peinture et l’art du por- trait qui vont jouer un rôle essentiel dans cette mise en scène de la figure princière et cette symbolique du pouvoir. Si l’on en croit les témoignages, la beauté et le charisme de Fath ‘Ali Shah ne laissaient guère indiffé- rents les diplomates et les voyageurs, tel Lord Curzon qui s’extasie, en 1892, devant sa « taille de guêpe » et sa « barbe fleurant l’ambroisie » ! Or cette élégance et cette majesté seront transposées sur tous les sup- ports, de la miniature à la peinture sur toile, d’un cof- fret en papier mâché à un couvercle de boîte à miroir en ivoire. L’intention politique demeure cependant la même : exalter la personne royale aux quatre coins du royaume sous tous ses aspects les plus glorieux de « guerrier, philosophe, chasseur et héritier des rois an- tiques de la Perse ». Parmi les œuvres les plus specta- culaires réalisées sous son règne, s’imposent ainsi ces portraits grandeur nature où le monarque, isolé, pose dans une attitude hiératique. Qualifiées par les Iraniens d’« icônes vénérables » ( shma’il ), ces effigies gran- dioses n’ont rien à envier aux portraits des souverains européens nés sous le pinceau d’un Velázquez ou d’un David ! Conservé aumusée de l’Ermitage, un tableau re- présentant Fath ‘Ali Shah posant en pied n’est d’ailleurs pas sans rappeler ce portrait de l’Empereur Napoléon en costume de sacre peint, en 1805, par François Gérard. Mais toute la magnificence et la pompe de la dynastie qajare sont davantage encore incarnées dans le somp- tueux portrait conservé au musée du Louvre. Coiffé d’une tiare monumentale surmontée d’une aigrette, le bas du visage dissimulé sous une épaisse et longue Couronne d’Aqa Muhammad Shah, Iran, vers 1788. Alliage de cuivre, décor d’émail peint, 24,5 x 20,1 cm. Téhéran, palais du Golestan. © palais du Golestan, Téhéran Joueur de setar , Iran, vers 1830-1840. Huile sur toile, 129,8 x 77,7 cm. Paris, Institut national des langues et civilisations orientales. © INALCO – Institut national des langues et civilisations orientales – P. Fuzeau 54 L’OBJET D’ART MAI 2018 Luxe et raffinement à la Cour des Qajars

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