Extrait L'Objet d'Art

PARIS LE SACRE DES FANG, DES PUNU ET DES KOTA C’est à une magistrale leçon de style que nous convie le musée du quai Branly en rassemblant la quintessence des arts de l’Afrique équatoriale atlantique. Joliment baptisée « Les forêts natales », l’exposition démontre combien les sculpteurs du continent noir n’avaient rien à envier à leurs homologues européens en matière d’audace et de virtuosité. À ceux qui arguent encore que les arts « primitifs » ou « premiers » ne sont qu’une « invention tardive » des collectionneurs européens, on ne saurait trop conseiller d’aller porter leurs pas vers l’époustou- flante exposition conçue par Yves Le Fur aumu- sée du quai Branly. En sélectionnant quelque 300 pièces créées par des sculpteurs apparte- nant aux populations du Sud du Cameroun, de la Guinée équatoriale, du Gabon et de l’Ouest de la République du Gabon, l’historien de l’art leur a conféré un statut d’icônes univer- selles tout en leur redonnant pleinement leur historicité. Car peu de régions ont en effet produit, sur un territoire géogra- phique précis et en l’espace de quelques siècles, une telle floraison de chefs- d’œuvre. Point de hasard si, à l’aube du XX e siècle, les premiers marchands d’art tribal jetèrent leur dévolu sur ces masques punu ou ces figures-reliquaires fang ou kota dont la perfection plastique renforçait l’efficaci- té rituelle. Embrassant une période allant du XVII e au XX e siècle et provenant de collections publiques ou privées parmi les plus prestigieuses (les musées Dapper et Barbier-Mueller sont particulièrement bien re- présentés), cet aréopage d’œuvres d’exception dessine les contours d’un territoire artistique fait de correspondances et d’emprunts formels, de variationsmusicales sur un thème imposé. Soumis aux exigences des rituels (perpétuer le culte des défunts, favo- riser la fécondité des femmes, assurer le succès à la chasse, apaiser les esprits pour le bien-être de la communauté), des artistes surent néanmoins transcender lamatière pour décliner enmille nuances les visages et les corps de leurs ancêtresmagnifiés. Parmi leurs créations les plus émouvantes, se détachent ainsi les gardiens de reliquaires fang dont les traits combinent de façon troublante l’expression d’un vieillard et le corps au ventre bombé d’un nourrisson. Autrefois fixées sur la boîte renfermant les ossements des ancêtres de la lignée, ces sombres effigies à la patine luisante furent érigées sur des socles qui parachevèrent leur statut d’œuvres d’art. Autres « stars » de ces régions, les figures de reliquaires kota séduisirent instantanément les collectionneurs occidentaux par la force hypnotique de leur regard et l’éclat renvoyé par leur revêtement de plaques de laiton. Pour cette exposition, Yves Le Fur a réussi l’exploit d’en rassem- bler une centaine d’exemplaires qui scrutent de leurs prunelles écarquillées ou fendues le visiteur... Mais s’il est des œuvres qui ne cessent de fasciner au-delà des frontières et des siècles, c’est bien ces masques punu recouverts de kaolin blanc dont la délicatesse des traits le dispute à la sophistication des coiffures. Au-delà de leur douce féminité, ces écussons de bois ponctués de scarifications ma- nifestaient la présence des ancêtres au sein des villages et intervenaient lors de cérémonies destinées à faire régner l’ordre et respecter la loi... Bérénice Geoffroy-Schneiter « Les forêts natales, Arts d’Afrique équatoriale atlantique », jusqu’au 21 janvier 2018 au musée du quai Branly – Jacques Chirac, 37 quai Branly, 75007 Paris. Tél. 01 56 61 70 00. www.quaibranly.fr Catalogue, coédition Actes Sud / musée du quai Branly – Jacques Chirac, 384 p., 55 € . Masque punu, Gabon. Bois et pigments, H. 33 cm. Paris, musée Dapper. Photo service de presse. © Archives musée Dapper / Photo Hughes Dubois Tête de reliquaire fang, Gabon. Bois, métal et pigments, H. totale 63 cm. Paris, musée Dapper. Photo service de presse. © Archives musée Dapper / Photo Hughes Dubois 6 L’OBJET D’ART JANVIER 2018 EXPOSITIONS

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