Histoire de l'Antiquité à nos jours

4 N otre-Dame brûle ! »… Dans la soirée du 15 avril 2019, comme une rumeur, d’abord sous la forme d’un signal faible, et très vite à la manière d’une onde dont la force s’accroît à mesure qu’elle progresse, ces mots se sont propagés, bientôt relayés par les images, sur les réseaux sociaux, sur les écrans des télévisions. Chacun garde en mémoire, et les gardera pour longtemps, ces hallucinantes images nocturnes de l’incendie qui a détruit la charpente, la toiture et la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Dans le monde entier, en France bien sûr, mais partout en Europe, aux États-Unis, et jusqu’au Japon, l’émotion a saisi les spectateurs qui ont suivi la catastrophe en direct sur les télévi- sions. L’événement a été commenté de toutes parts (il a désor- mais sa page Wikipédia, comme toutes les dates marquantes de notre histoire) mais souvent par des spécialistes improvisés. Il a surtout suscité, dans les jours qui ont suivi, une intense mobi- lisation. En France, les pouvoirs publics ont réagi immédiate- ment, par la bouche même du président de la République puis du Premier ministre, pour décréter que la cathédrale serait « rebâ- tie plus belle encore » et que la restauration devrait être menée dans un délai de cinq ans. Les particuliers, des humbles aux plus fortunés, de France et de l’étranger, ont décidé de contribuer à l’effort financier. Des entreprises ont offert du bois, proposé de mettre de la main d’œuvre à disposition du chantier. S’appuyant sur l’annonce qu’un concours international ouvert à un « geste architectural » serait lancé pour la reconstruction de la flèche, architectes et designers se sont empressés de proposer des idées plus originales les unes que les autres. La communauté scientifique s’est également mobilisée, en engageant, d’abord par le biais de l’Association des scientifiques au service de la restauration de Notre-Dame, ensuite sous l’égide du CNRS et du ministère de la Culture, un « chantier scientifique » destiné à accompagner le chantier de restauration : ce sont plus de deux cents scientifiques, issus de spécialités très diverses et ras- semblés dans un bel exemple de transdisciplinarité au sein de groupes de travail thématiques, qui se pressent désormais au chevet de Notre-Dame. Ce hors-série propose un état des lieux après l’incendie, avec la collaboration de spécialistes dont plusieurs sont activement impliqués dans le chantier Notre-Dame, au plus près du monu- ment. Il a été organisé en trois temps. C’est d’abord à un retour sur l’événement lui-même que le lec- teur est convié : les réactions à l’incendie du 15 avril, parfois mitigées dans la France des gilets jaunes, et décryptées ici par le regard de l’anthropologue (Claudie Voisenat) ; un état actualisé et circonstancié du chantier de restauration, dressé par une spé- cialiste des monuments historiques (Aline Magnien) ; les enjeux de la mobilisation des scientifiques, présentés par le président de l’Association des scientifiques au service de la restauration de Notre-Dame (Arnaud Ybert). La deuxième partie revient, par-delà l’incendie, sur la cathé- drale : les édifices qui ont précédé la cathédrale gothique, tels que les comprennent aujourd’hui les archéologues (Josiane Barbier, Didier Busson, Véronique Soulay) ; le chantier gothique, analysé par l’historien de la construction (Olivier de Châlus) ; l’œuvre de pierre et sa véritable place dans l’histoire de l’archi- tecture gothique (Yves Gallet), mais aussi la « forêt » disparue dans l’incendie du 15 avril, dont les spécialistes des charpentes médiévales avaient acquis une bonne connaissance générale (Frédéric Épaud). La dernière partie fait le lien entre la cathédrale médiévale et notre temps. Elle explique comment Notre-Dame a traversé les siècles, d’abord à l’époque moderne qui, à bien des égards, fut « l’autre temps des cathédrales » (Mathieu Lours), et enfin aux XIX e et XX e siècles, au moment où, mise en scène par Victor Hugo, restaurée par Lassus et Viollet-le-Duc, la cathédrale a progressivement acquis son statut de monument historique et sa stature d’édifice national et mondial (Jean-Michel Leniaud) : autant d’éléments qui permettent, avec le recul du temps, de percevoir les significations multiples dont l’édifice s’est chargé, et de mieux comprendre, peut-être, l’intensité de l’émotion qu’a engendrée l’incendie du 15 avril 2019. Formons le vœu que les contributions ici réunies permettent à chacun et chacune des lecteurs et lectrices de prendre lamesure des pertes dues à l’incendie, d’appréhender au-delà des clichés la place de l’édifice dans son temps et dans le nôtre, et aussi de saisir la complexité des enjeux du chantier de restauration qui s’ouvre, comme des défis qui se présentent à ses responsables. Yves Gallet, professeur d’histoire de l’art du Moyen Âge à l’université Bordeaux-Montaigne « Photographie prise depuis le Pont Saint-Louis de la flèche en feu de Notre-Dame de Paris lors de l’incendie du 15 avril 2019. Photo : Guillaume Levrier / CC BY-SA 4.0

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