Extrait Archéologia

4 par Bertrand Borie INTRODUCTION Le fait que l’épopée naisse toujours de la réa- lité fait que la première supplante souvent la seconde, allant jusqu’à faire oublier que celle- ci l’a chronologiquement précédée : passant à travers le filtre de ses innombrables horreurs, on aime bien que l’Histoire fasse rêver, qu’elle enthousiasme à travers des modèles. Alexandre le Grand en est sans doute l’exemple le plus emblématique, car, dans son cas, tout joue en la faveur de cette naturelle évolution de l’image des personnages qui ont fait l’histoire, à moins qu’ils ne se soient (ou qu’on ne les ait) imposés comme des monstres – encore que là aussi, visiter les coulisses ne soit jamais inutile. Oui, tout : sa jeunesse, la fulgurance de son itinéraire, la vaillance indéniable du person- nage, le retentissement d’une œuvre unique dans son temps par sa quasi universalité, puisqu’elle marqua la civilisation antique de l’Occident à l’Extrême-Orient, et jusqu’à sa mort, en plein élan, en même temps qu’en pleine fleur de l’âge, brutale, à 33 ans, entou- rée de mystère quant à sa cause. C’est un avis communément répandu, de- puis Diodore de Sicile qui écrivait au I er siècle av. J.-C. : « Dans un court espace de temps, Alexandre a accompli de grandes choses et, par la grandeur de ses œuvres, fruits de son intelligence et de sa bravoure, il a surpassé tous les rois dont l’histoire nous a légué le souvenir. En douze ans, il a conquis une partie de l’Europe, presque toute l’Asie, et s’est acquis avec raison une gloire égale à celle des anciens héros et demi-dieux » ( Bib. hist. , XVII, 1). Jusqu’à nos jours, où l’on trouve sous la plume de Gérard Challand et Arnaud Blin les mots : « La carrière politique et militaire d’Alexandre le Grand est unique dans l’Histoire. À l’exception de la percée mongole du XIII e siècle, aucune tentative de conquête n’aura couvert un territoire aussi grand ni provoqué un choc aussi puissant en un temps aussi court. » ( Dictionnaire de stratégie ). Ilestvraiquelorsqu’onsurvolelavied’Alexandre – et qu’a-t-on en général en mémoire quand on songe à lui sinon un survol ? – on a le sentiment d’un parcours inéluctable, presque linéaire, qui Statuette d’Alexandre le Grand en dieu Pan, sculpture grecque en marbre, IV e siècle av. J.-C. Musée archéologique, Pella. ©DeAgostini/Leemage. le conduit de victoire en victoire dans une course invincible de l’Hellespont (détroit des Darda- nelles) à l’Indus en l’espace de neuf ans (printemps 334 – prin- temps325),àlatêtedequelques dizaines de milliers d’hommes qui balayent sur leur parcours des armées bien plus puissantes tels des fétus ! En un mot, Alexandre se confond souvent dans les es- prits avec la légende qu’il bâtit – ou qu’on lui bâtit – de son vi- vant. Et que la postérité ne ces- sa de nourrir et d’amplifier. Car telle est l’image qu’on a d’Alexandre, en oubliant qu’il commença, avec lamême fougue, par devoir s’imposer à toute la Grèce, que ce parcours fut semé d’embûches et que son épopée manqua bien souvent de prendre fin au milieu de nulle part… Bref, que ce ne fut pas si simple, ce qui ne la rend que plus glorieuse, quoiqu’elle fût loin de l’être systématique- ment, surtout si l’on commet l’erreur de l’apprécier – ou pire : de la juger ! – selon les critères de notre temps. Ce qui est certain, c’est que son rôle dans le devenir de notre ci- vilisation et de notre culture fut immense et que, d’une certaine manière, nous sommes tous plus ou moins des descendants d’Alexandre, héritiers d’un monde dont il a jeté les bases, et dont l’évolution jusqu’à nos jours et au-delà est le fruit d’une logique historique dont ses ambitions furent en grande partie le déclencheur…

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