Histoire de l'Antiquité à nos jours

19 Carte de la Troade. Le tracé de la côte moderne a été modifié pour faire apparaître l’estuaire du Scamandre où se seraient situés les navires de l’expédition grecque. ©Olivier Henry. Dans le bref et fantaisiste avant-propos qui sert d’introduction contextuelle au film, il est indiqué que la guerre de Troie qui va opposer Grecs et Troyens a eu lieu il y a 3 200 ans, ce qui nous placerait donc vers 1200 av. J.-C. De fait, cette indication chronologique s’inscrit effectivement parmi celles que l’on peut relever chez quelques auteurs de l’Antiquité. C’est ainsi, par exemple, que le savant alexandrinÉratosthène deCyrène, qui vécut au III e siècle av. J.-C., situait la prise de Troie en 1184 av. J.-C. Cette datation fut pourtant le point de départ d’un préjudiciable malentendu pour les Modernes, celui-là même qui poussa l’archéologue allemand autodidacte Heinrich Schliemann à entreprendre, à partir de 1871, sept campagnes de fouilles sur la colline d’Hisarlik, au nord-ouest de l’actuelle Turquie, pour exhumer ce qu’il pensait alors être la Troie homérique. Ce qu’il découvrit, en réalité, c’était un très ancien établissement anatolien apparu à l’aube du III e millénaire av. J.-C. et qui deviendra, à partir du VII e siècle av. J.-C., la cité grecque d’Ilion. C’est ce site que lesGrecs finiront par identifier avec le lieu où les héros de l’ Iliade s’étaient affrontés. Mais il en va de cette contextualisation chronologique comme de cette présentation géographique, elles appartiennent au mythe et non à l’histoire, ce que l’historien Moses Finley avait magistralement exposé en 1962 dans un article au titre provocateur, On a perdu la guerre de Troie . De même qu’il serait vain d’espérer retrouver des témoi- gnagesmatériels du roman arthurien dans la forêt de Brocéliande ou quelques traces archéologiques des cités bibliques de Sodome et Gomorrhe anéanties par le feu divin, il est tout aussi inutile de vouloir retrouver à Ilion quelques traces du siège décennal et de l’anéantissement de Troie vaincue par le destin et la ruse d’Ulysse, si ce n’est le cheval de bois qui se dresse depuis 1975 à l’entrée du site pour consoler les touristes qui, tel Heinrich Schliemann, viennent plein d’espoir ressentir le souffle de l’épopée homérique, espoir la plupart du temps déçu. Noms et prête-noms troyens Pour éviter toute confusion, nous allons, pour commencer, dé- finir les différents toponymes actuellement en usage pour dési- gner la cité de Priam : Hisarlik/Hissarlik : ce toponyme turc, que l’on peut rencontrer avec ces deux orthographes, désigne le site archéologique ex- humé par les fouilles à 4,5 km au sud des Dardanelles et qui remonte à l’aube du III e millénaire av. J.-C. Sur ce même site s’établirent, beaucoup plus tard, à une date qui fait encore dé- bat (entre le début de l’âge du fer et le VII e siècle av. J.-C.), des Éoliens qui sont à l’origine de la cité grecque d’Ilion. Ce n’est donc qu’après l’installation des Turcs en Troade que le nom Hisarlik, sans que l’on sache précisément à quel moment, est apparu pour désigner un site se présentant comme une modeste colline artificielle d’à peu près 200 m de diamètre et une vingtaine de mètres de hauteur, s’élevant à l’extrémité d’un plateau surplom- bant une ancienne baie qui communiquait jadis avec le détroit des Dardanelles. Ce modeste relief est artificiel. Il est le résultat d’une sédimentation archéologique plurimillénaire, celle d’une très longue anthropisation du site. Toutefois, pour qui l’abordait en venant du nord, l’agglomération troyenne se détachait parfai- tement dans le paysage plutôt déprimé de ce coin de Troade. La signification du toponyme Hisarlik, « château » ou « place forte », s’explique parfaitement compte tenu de l’impression que produi- sait cette petite colline, mais sans doute également à cause des vestiges antiques affleurant, qu’au hasard de leurs labours, les autochtones devaient exhumer. Lorsque, à partir du XVIII e siècle, quelques voyageurs et antiquaires européens, désireux de marcher sur les traces des héros de l’ Iliade , se rendent en Troade, la colline d’Hisarlik s’impose comme une des candidates sérieuses pour la localisation de la mythique Troie. Wilusa/Wilusiya : si nous connaissons le nom de la cité grecque, Ilion, qui s’est développée sur et autour de la colline d’Hisarlik, se pose en revanche la question de l’identité des établissements qui se sont succédé sur ce site à l’âge du bronze. De prime abord, la quasi-absence de documentation écrite in situ pour cette pé- riode semblerait nous condamner à les reléguer dans la caté- gorie des sites anonymes. Pourtant, ces dernières décennies, des tentatives ont été menées pour donner un nom à l’agglo- mération du II e millénaire av. J.-C. Deux civilisations maîtrisant l’écriture étaient alors en relation plus ou moins directe avec les hôtes de la colline d’Hisarlik : les Mycéniens, une population grecque présente aux XIV e -XIII e siècles av. J.-C. sur les littoraux et îles au large de l’Asie Mineure, et les Hittites, civilisation anatolienne dont nous connaissons l’implication diplomatico-mi- litaire à l’ouest de l’Asie Mineure à cette même époque. Si les ar- chives comptables des palais mycéniens ne nous sont pas d’une grande aide, il n’en va pas de même pour les archives royales d’Hattusa, capitale de l’Empire hittite, auxquelles viennent

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