Histoire de l'Antiquité à nos jours

4 xposition E Pour éclore, ces royaumes ont sans doute profité des troubles provoqués par les Peuples de la mer, au tournant du XII e siècle, mais ils ne renièrent pas toute filiation : « C’est sur les vestiges des colonies hittites qu’apparut une mosaïque de petites chef- feries, dirigées par d’anciennes élites hittites mais aussi par les dignitaires de peuples jusqu’ici nomades, les Araméens – ceux que les Assyriens appelaient les Alhamu. À Karkemish, le site le plus important, on repère des traces prononcées de la culture im- périale hittite et de ses rituels. Ce qui est intéressant, c’est que les Araméens vont aussi s’approprier la culture des Hittites et leur système d’écriture, les hiéroglyphes louvites, que l’on voit sur les grands monuments rupestres », rappelle Vincent Blanchard. Les Araméens marqueront l’histoire du Proche-Orient bien après que leurs mini-royaumes aient perdu leur indépendance : « Passés sous la coupe des Assyriens, ils vont être dispersés dans tout l’empire, à des postes souvent stratégiques », précise le commissaire. « La langue araméenne deviendra la plus parlée, et ce sera toujours le cas sous les Babyloniens et chez les Perses. Le nabatéen ou le palmyrénien, des formes d’araméen tardives, étaient encore vivants à l’époque hel- lénistique et romaine. Mais les Araméens eurent aussi une grande in- fluence artistique. Quand les Assyriens prirent position dans la région, ils s’inspirèrent de ce qu’ils voyaient pour créer leurs propres décors, ceux des palais de Nimroud ou de Khorsabad, par exemple, conservés au Louvre et à Londres. Dans les ensembles décoratifs néo-hittites et araméens se devinent donc les prémisses d’un art hérité d’un empire déchu et qui deviendra extraordinaire avec les Assyriens. » « Les prémisses d’un art extraordinaire » Entretien avec Vincent Blanchard, commissaire de l’exposition « Royaumes oubliés : de l’Empire hittite aux Araméens », au musée du Louvre Du 2 mai au 12 août 2019 au musée du Louvre Pour sa nouvelle exposition consacrée à l’Antiquité proche-orientale, le Louvre a choisi de mettre en lumière les royaumes nés à la suite de l’Empire hittite, vers 1180, et qui prospérèrent jusqu’à la domination des Assyriens, trois siècles plus tard. L’occasion, surtout, d’étudier un des paradoxes de l’histoire de cette région, comme le souligne Vincent Blanchard, le commissaire de l’exposition : « Ces petits royaumes qui s’épanouirent entre l’Anatolie, au Sud-Est de la Turquie, et le haut de la Mésopotamie, au nord de la Syrie, ont eu un poids politique faible mais leurs élites ont pourtant créé des décors sculptés monumentaux. On avait donc envie de faire connaître ces cultures, qui ont laissé des témoignages très forts alors qu’elles sont relativement absentes de l’histoire telle qu’on la raconte. » De gauche à droite. Exposition au musée du Louvre : salles de « Royaumes oubliés. De l’Empire hittite aux Araméens » 2019. © Musée du Louvre. Antoine Mongodin. Figurine représentant un dieu hittite. Département des Antiquités orientales, musée du Louvre. © Musée du Louvre, Dist. RMN-GP / Raphaël Chipault. Tell Halaf, en Mésopotamie septentrionale, a livré d’impres- sionnants exemples de cet art du décor. On doit leur redé- couverte à Max von Oppenheim, qui fouilla le site de l’an- cienne Guzana, la capitale du royaume de Bit-Bahiani, entre 1911 et 1914 puis à la fin des années 1920. « Le diplomate fit construire une grande maison de fouilles, avec jusqu’à 150 ouvriers, et il déga- gea le palais du roi Kapara, qui était plutôt un hall de réception dédié à des cérémonies publiques et décoré de grandes figures mi-hommes mi-animaux », raconte M. Blanchard. Malheureusement, le Tell Halaf Museum fut installé dans une ancienne fonderie, qui fut prise pour cible lors des bombar- dements de 1943. « Les milliers de débris furent entreposés au Pergamon Museum. C’est seulement après la chute du mur que les équipes envisagèrent de reconstituer quelques statues. Tous les fragments furent finalement étalés sur de grandes tables, en 2000, pour être étudiés. L’opération dura dix ans et les résultats firent l’objet d’une grande exposition. Cette collection retrouvée intégrera en 2030 le nouveau Pergamon. » Le commissaire ajoute : « Après Berlin, elle a été présentée à Bonn en 2014, puis New York et Doha. Mais l’ensemble des grandes pièces va sortir une seule fois : c’est pour cette exposition, au Louvre. » Avec no- tamment l’intimidante statue d’un oiseau de proie, qui avait beaucoup intéressé Samuel Beckett, et la majestueuse femme assise, datée des X e -IX e siècles, que l’on prit tout d’abord pour une déesse.

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