Extrait Dossier de l'Art

DOSSIERS DE L’ART 302 / 65 L’objet est-il la grande aven- ture de l’art du XX e siècle ? L’introduction des choses mêmes qui nous entourent directement dans l’œuvre est l’un des mar- queurs des débuts de la moder- nité. Quel paradoxe que de voir ces deux apparents opposés, l’ob- jet et l’abstraction, la présence du réel dans sa matérialité et la quête d’un art prenant ses distances avec ce même réel, s’inviter en miroir dans l’aventure des avant- gardes et en écrire au début du siècle les grandes révolutions… Du trompe-l’œil au trompe-l’esprit « Le but du papier collé était de montrer que des matériaux dif- férents pouvaient entrer en com- position pour devenir, dans le tableau, une réalité en compétition avec la nature. Nous avons essayé de nous débarrasser du trompe- l’œil pour trouver le trompe- l’esprit », raconte rétrospective- ment Pablo Picasso qui, à l’hi- ver 1911-1912 et parallèlement à Georges Braque, son compagnon de cordée, inaugure l’une des étapes majeures du mouvement cubiste : coller plutôt que repré- senter, insérer un morceau de réalité directement dans l’œuvre plutôt que recourir aux artifices d’une représentation soi-disant réaliste. Au collage de papiers succède bien vite le collage sur toile. Au printemps 1912, Picasso intègre à une nature morte peinte un morceau de toile cirée repro- duisant le motif de cannage d’une chaise. Avec ce trompe-l’œil et une ceinture de corde pour cadre, la Nature morte à la chaise cannée (musée national Picasso-Paris) est la première peinture-collage de l’art moderne, promise à une incroyable postérité, comme la série des six Verres d’absinthe du Le XX e siècle s’ouvre en faisant entrer, toutes faites, les choses dans l’œuvre, déplaçant le travail de l’artiste en direction du geste, politique ou poétique. Déliés de leur valeur d’usage, les objets évoquent alors avec une force nouvelle le monde que se partagent les humains et les choses. PAR ANNABELLE TÉNÈZE

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